Monaco-Matin

« Pétrifiée de bonheur » par la rencontre avec Mercy

Le groupe Madame Monsieur ,e t sa chanteuse vençoise Émilie Satt, ont pu pour la première fois serrer dans leurs bras la petite migrante dont ils ont chanté le destin à l’Eurovision. Récit

- GRÉGORY LECLERC gleclerc@nicematin.fr

Que cet instant ait pu exister relève purement et simplement du miracle. Le 28 août, la Vençoise Émilie Satt, et l’Amiénois Jean-Karl Lucas, du groupe Madame-Monsieur, ont enfin pu serrer la petite Mercy dans leurs bras. Mercy, vous vous en souvenez peut-être, c’est d’abord l’histoire de sa maman, Taïwo. Une Nigériane qui avait jeté ses espoirs et son désespoir – une nuit noire de mars 2017 – dans un canot de migrants. Une équipée souvent mortelle. Plus de 1500 personnes, hommes femmes et enfants, se sont déjà noyés dans les eaux méditerran­éennes depuis le début de l’année. Nice-Matin se trouvait alors sur l’Aquarius, le bateau de l’ONG SOS Méditerran­ée. Au coeur de la nuit froide, votre quotidien avait assisté au sauvetage de Taïwo, une Nigériane enceinte. Son embarcatio­n gonflable, partie d’une plage libyenne, menaçait de sombrer d’une heure à l’autre. Puis nous avions relaté l’épique naissance de la petite Mercy dans l’infirmerie du bateau humanitair­e. À l’instant même où le navire accostait en terre promise, l’Europe. Cette histoire avait tellement ému le groupe Madame Monsieur – alors en studio à Paris – qu’il en a fait une chanson le jour même. Ce titre – Mercy –a , à son tour, tellement ému les Français, qu’il a représenté le pays à l’Eurovision. C’est donc bel et bien l’histoire d’une émotion collective. Mercy est devenue, par la magie des mots et la puissance d’une chanson, le symbole de « tous ces enfants que la mer a pris ». Depuis, Mercy et Taïwo vivaient dans l’un des plus grands centres de migrants d’Europe, à Mineo, en Sicile. Un ancien camp de l’Otan, froid, inhumain, occupé par des milliers de destins entre parenthèse­s. « C’est comme une vie parallèle, ils y sont coupés du monde », relate Émilie Satt. Émilie et Jean-Karl n’avaient jamais encore rencontré Mercy. Ce fut donc le 28 août. « C’était un moment très spécial, ça faisait longtemps qu’on l’attendait », confie Émilie Satt. Dans un village du sud de la Sicile, un foyer niché dans un petit immeuble abrite désormais la mère et la fille, aux côtés d’une douzaine de migrants. Taïwo et Mercy ont atterri ici il y a un mois. Et ce, grâce à la mobilisati­on d’une ONG, d’une associatio­n de juristes, mais aussi de l’attention constante et discrète du groupe Madame Monsieur. Taïwo et Mercy ont acquis le statut de réfugiées, «ce qui leur ouvre une forme de stabilité ». Quand on pénètre dans le bâtiment, un immense dessin aux couleurs chaudes saute aux yeux. Il occupe l’un des murs du vaste foyer, situé en rez-dechaussée. Deux mains y soulèvent hors des eaux un bateau rempli de migrants. « Honnêtemen­t, on se demandait qui nous étions, quelle légitimité nous avions pour débarquer, nous, deux petits Français, avec une valise pleine de cadeaux et notre guitare», confient Émilie et Jean-Karl. Mercy s’avance alors du haut de ses un an et demi, au bras d’une dame du foyer. « Elle était un peu intimidée, réservée. Heureuseme­nt, il y avait plein d’enfants autour pour la rassurer. » Puis c’est la maman, Taïwo, qui apparaît. « Elle est descendue, superbe, belle. Nous sommes tombés dans les bras. » Mercy s’est approchée au fur et à mesure. « Et là, d’un coup, elle m’a littéralem­ent grimpé dessus, m’a attrapée au cou et a collé sa joue contre la mienne. Je ne savais plus quoi faire. J’étais pétrifiée de bonheur.» Jean-Karl sort la guitare. Le couple entonne sa chanson. La petite avait eu l’occasion de l’entendre pour la première fois en avril à Mineo, quand une équipe de France Inter, Eric Valmir et Alessandro Puglia, l’avait retrouvée. Jusque-là, mère et fille ignoraient tout de l’incroyable destin du titre Mercy, né le même jour que la petite. Bouleversé­e, tenant Mercy dans ses bras, Émilie Satt confie « qu’elle a failli s’arrêter au milieu de la chanson ». Taïwo saisit son propre portable et filme la scène. Surréalist­e quand on sait qu’il y a un an et demi, la maman pensait ne jamais survivre en voyant l’Aquarius s’éloigner après être passé sans les avoir vus. Dans son foyer sicilien à échelle humaine, la petite incarne la joie de vivre. Elle balance des « ciao, ciao », à qui veut l’entendre. Ses premiers mots d’italien. Elle entre à la crèche ces jours-ci. Taïwo de son côté attaque les cours de langue. Elles sont libres d’aller et venir. «Taïwo n’a qu’un désir, travailler, mais elle doit absolument parler italien.» Le reste de cette journée du 28 août leur appartient : sortie complice à quatre dans le village, virée pour faire le plein de spécialité­s africaines – « avec Mercy et des chants africains à fond dans la voiture » – et encore ces fameux instants, si brefs, si intenses de complicité et de rires. Mercy s’écroulera de fatigue dans les bras d’Émilie. C’est beau un miracle qui dort.

L’histoire d’une émotion collective” Elle m’a littéralem­ent sauté dessus ”

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La petite Mercy a désormais un an et demi. Avec sa maman, Taïwo, elle a pu intégrer il y a un mois un foyer à échelle humaine, au sud de la Sicile, grâce à la mobilisati­on du groupe Madame Monsieur (ci-dessus Emilie Satt) et de bénévoles, juristes et humanitair­es.
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(Photos Madame/Monsieur) Jean-Karl dans les rues du village avec la petite.
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Le mur du foyer où elles résident désormais.
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(Photo G. L.) Mercy à sa naissance.

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