«À certains moments, il faut avoir une proximité complète avec son chef. À d’autres, s’effacer»
Vous souvenez-vous de votre première mission pour la famille princière ? J’ai fait une sorte de stage probatoire en septembre . Je m’en souviens très bien car c’est la date de naissance de Pierre Casiraghi, pour lequel j’ai, depuis, une affection particulière. J’ai accompagné au CHPG le prince Rainier et le prince Albert pour la présentation du nouveau-né aux photographes. Et je me suis retrouvé dans un tout petit ascenseur avec la princesse Caroline qui avait son enfant dans les bras, Stefano Casiraghi, le prince Rainier et le prince Albert. Je me demandais si je n’hallucinais pas. Par la suite, j’ai pris mes fonctions en janvier , selon la volonté du prince Rainier qui m’avait choisi sur dossier, au départ.
Vous aviez précisé, dans ce dossier, que vous aviez fait l’école du cirque ? Non, je l’ai dit au prince Rainier quand j’ai pris mes fonctions et ça l’a beaucoup touché. Même si je n’étais pas un très bon élève, l’école du cirque m’a beaucoup enseigné. Surtout à m’exprimer en public. Ce qui m’a permis d’être toujours à l’aise, par exemple, pour commander des prises d’armes.
À votre arrivée, que connaissiezvous de Monaco, son fonctionnement, son organisation militaire ? Rien de rien ! Je ne connaissais personne, je n’étais jamais venu. Le seul lien que j’avais avec Monaco, je vous assure que c’est vrai, c’était ma mère qui avait découpé dans un une Paris Match photo de la princesse Grace qu’elle admirait beaucoup. La photo était encadrée dans notre salon familial. Malheureusement, ma mère est partie depuis longtemps, elle ne m’a pas vu prendre ces fonctions en Principauté. Mais j’y pense souvent, elle aurait été très fière et émue.
De à , vous êtes aide de camp du prince héréditaire, quelles étaient vos fonctions ? Au cours de ces années, j’ai organisé les emplois du temps du souverain. Mais le plus important n’était pas la logistique. Le prince Rainier m’avait demandé de donner du sens à tout ce que faisait le prince Albert. À l’époque, l’axe principal de sa vie se situait autour du bobsleigh, l’entraînement physique, l’organisation des voyages, les compétitions. Nous allions partout où il y avait des pistes. Mais le prince héréditaire représentait également son père dans des grandes cérémonies. C’est à cette époque que j’ai fait la connaissance de toutes les têtes couronnées du monde entier. Je dois dire que j’ai été souvent impressionné par la simplicité de ces gens-là. Une anecdote ? Lors de ma première visite à la Zarzuela, le roi Juan Carlos s’est adressé à moi en français, pour m’inviter à rejoindre sa table lors du déjeuner officiel. Ce sont des gestes que l’on n’oublie pas.
Dans ces années, comme s’est tissée votre relation avec le prince Albert, vous qui êtes son plus proche collaborateur? Tout le secret est de trouver le bon équilibre. Il n’y a pas de règle. Il faut ressentir à chaque circonstance officielle ou non officielle, s’il faut être là ou se faire discret. J’ai eu la chance d’établir, avec le prince, ce rapport de confiance qui va au-delà encore car on entre dans l’intimité des personnages.
Votre rigueur militaire vous a aidé à trouver ce dosage ? Évidemment. À certains moments, il faut avoir une proximité complète avec son chef. À d’autres moments, s’effacer.
Dans votre kyrielle de souvenirs au service des princes, lequel vous a particulièrement marqué ? Il y en a beaucoup : la rencontre du pape Jean Paul II, la participation à une séance de l’Académie française. Mais aussi une anecdote à Paris au début des années . Le prince Rainier III était reçu à l’Élysée. Je patientais à la sortie du bureau du président Chirac. Le Prince et le Président arrivent, ce dernier le raccompagne jusque sur le perron de l’Élysée. Le prince Rainier se tourne alors vers moi et dit :
« Dites au président ce que vous pensez de la suppression du service
militaire. » J’ai été surpris mais j’ai réussi à dire à Jacques Chirac qu’il n’aurait pas dû supprimer le service militaire, qui était, à mon sens, une des meilleures manières de réduire la fracture sociale. Et j’en parlais en connaissance de cause pour avoir formé des générations d’appelés. Après cet épisode, le prince Rainier, dans la voiture, a admis qu’il m’avait surpris en me posant cette question devant le président, mais que j’avais bien répondu.
En , vous obtenez la nationalité monégasque. Un symbole pour vous ? Aucun militaire n’avait été naturalisé avant moi. Au cours d’une conversation avec le souverain à Roc Agel, au moment de mon soixantième anniversaire, nous évoquions mon avenir et le prince m’a dit très simplement, de manière inattendue, que si je le souhaitais, je pouvais aspirer à devenir monégasque. Même dans mes rêves les plus fous je n’avais pas imaginé ça. Le passeport ne renforce pas mon attachement déjà vif pour ce pays mais mon rapport avec la Principauté est devenu encore plus concret. J’ai pris cela comme une belle décoration et j’ai compris que le prince avait apprécié mon investissement au cours de toutes ces années.