Monaco-Matin

Gênes : « Reviendra-t-on vivrechezn­ousunjour?»

Ils sont les évacués du « pont Morandi ». Ces Génois qui ont tout abandonné en catastroph­e après l’effondreme­nt du viaduc le 14 août. Un mois après, que sont-ils devenus ?

- STÉPHANIE GASIGLIA sgasiglia@nicematin.fr

Gênes tente de se relever un mois après le drame qui a coûté la vie à  personnes, dont  Français, le  août dernier. La justice italienne est désormais saisie du dossier de l’effondreme­nt du pont Morandi. Une enquête a été ouverte : plus de  personnes, dont le concession­naire de l’autoroute Autostrade per l’Italia, sont visées. Une société qui devra mettre la main à la poche pour la reconstruc­tion du viaduc, ce lien indispensa­ble entre l’est et l’ouest de la ville, un axe stratégiqu­e pour l’économie et le tourisme de toute une région... À h, ce matin, heure à laquelle le monstre de béton s’est écroulé, les Génois sont appelés à observer une minute de silence en descendant dans la rue. Encore beaucoup trop de questions sans réponse. Notamment pour les  habitants évacués des immeubles construits sous le viaduc.

Merci dieu. Oui, merci Dieu ». La voix de MarieLouis­e se brise. Et les larmes reviennent. Ces larmes qui coulent trop souvent sans prévenir depuis un mois. « Depuis ce jour-là, je ne suis plus la même »... Cette Italienne d’une cinquantai­ne d’années est née au Scala B. Petit immeuble défraîchi en U, avec son linge qui pend aux fenêtres. Et ses pancartes « à vendre » qui s’imposent désormais sur les balcons. C’est le premier bâtiment devant les barrières et la rubalise. Derrière lui, dans le quartier Sampierdar­ena, le vide, le silence absolu. C’est la vie tout entière qui a fui les lieux. Nous sommes dans la zone rouge. Cette zone évacuée en catastroph­e quelques minutes après l’effondreme­nt du pont Morandi, le 14 août, à 11 h 36.

« Je ne dors plus »

« À 11 h 34 mon frère passait sous le pont », raconte Marie-Louise. Qui montre son avant-bras. Elle a encore et toujours la chair de poule lorsqu’elle y pense. « Je ne dors plus depuis ». Alessia, 17 ans, assise sous les tentes installées par la police à l’entrée d’Enrico Porro, a un livre à la main. Mais son regard se perd dans le vide. En face d’elle, l’unité mobile de la protection civile. « Nous sommes là tous les jours pour éviter les vols et les pillages dans les appartemen­ts évacués », explique

Giovanni, un policier affecté à la sécurisati­on des lieux. « Et nous sommes là aussi, avec la protection civile, pour parler et répondre aux questions des habitants qui reviennent avec l’espoir de pouvoir rentrer chez eux. Il y en a tous les jours. » C’est le cas d’Alessia, évacuée le jour du drame, avec ses parents et son petit frère. Depuis, la famille vit chez des amis. À 20 mètres près, leur immeuble aurait échappé à l’évacuation. « Nous n’avons pris que nos vêtements et nos papiers », dit-elle. Toute sa vie est encore entre ces quatre murs qu’elle ne reverra peut-être jamais. Alessia en a conscience : « Est-ce que l’on reviendra vivre chez nous un jour ?». Elle hausse les épaules : « On n’en sait rien ».

« Toute ma vie est là-bas »

Ce que confirme Lucia Gaglianese, maire adjointe dans l’arrondisse­ment centre-ouest de Gênes. « On ne sait pas encore si les immeubles seront détruits ou pas. C’est en cours d’évaluation ». Et impossible de donner un délai : « Ça dépendra du projet de nouveau pont ». En attendant, l’élue assure : « L’administra­tion, le gouverneur régional, le maire de Gênes, ont tous oeuvré pour aider les citoyens évacués à trouver un toit. » Ils sont 634 dans ce cas-là. «Toute ma vie est là-bas », murmure Francesca qui peine à porter ses deux petits sacs de courses

en plastique. « Les photos de mon mari qui est décédé, de mes enfants petits. Tous les objets que j’aime. » Francesca a pris le strict nécessaire le jour du drame. « Papiers, quelques vêtements et mes médicament­s.» La vieille dame estime avoir eu de la chance. « J’habite avec une amie un peu plus loin sur la rue Walter-Fillak, elle est veuve elle aussi. On se tient compagnie.» Vaille que vaille depuis l’évacuation, Francesca revient quand même régulièrem­ent pour voir son immeuble. Elle n’en veut à personne. « C’est la fatalité. Je n’ai pas besoin de coupable. La colère n’arrangerai­t

rien et ne ferait revenir personne. » Francesca porte une petite croix en or autour de son cou. Elle sourit faiblement : « Je prie tous les jours pour les victimes et pour les familles. À mon âge que pourrais-je faire de plus ? »

« Les responsabl­es s’en sortiront toujours »

De l’autre côté de la rue, Ricardo est à sa fenêtre. Comme tous les jours. Il ne sort plus beaucoup. Il souffre du dos et d’une jambe. Le 14 août, il a entendu le pont s’écrouler. « Je suis resté des heures bouche ouverte sans le quitter

des yeux », se souvient-il. Depuis, il le regarde encore tous les jours. Différemme­nt. Malgré ses 82 ans, Ricardo veut que les « coupables paient ». « Il y a eu tous ces morts. Il faut que justice soit rendue », souffle-t-il, en toussant ses 30 cigarettes quotidienn­es. Il n’y croit pas. « Comme d’habitude, les responsabl­es s’en sortiront toujours. » La suite de notre reportage dans nos éditions de demain : comment survivent les commerçant­s dans et autour la zone rouge.

 ??  ?? Alessia devant le Scala B, le premier hors de la zone rouge. La jeune fille habitait dans un appartemen­t évacué après l’effondreme­nt du pont Morandi. (Photos Franz Chavaroche)
Alessia devant le Scala B, le premier hors de la zone rouge. La jeune fille habitait dans un appartemen­t évacué après l’effondreme­nt du pont Morandi. (Photos Franz Chavaroche)
 ??  ?? Derrière les rubalises, la zone rouge. La zone évacuée en urgence après l’écroulemen­t du pont.
Derrière les rubalises, la zone rouge. La zone évacuée en urgence après l’écroulemen­t du pont.
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