Monaco-Matin

À Gênes, la rue coupée en deux qui meurt à petit feu

L’artère est coupée en deux depuis le jour où le pont Morandi s’est écroulé. En un mois, certains commerçant­s de ce quartier populaire ont baissé le rideau. D’autres survivent. Jusqu’à quand ?

- STÉPHANIE GASIGLIA sgasiglia@nicematin.fr

C’est la triste histoire d’une rue coupée en deux par la « zone rouge ». La zone délimitée après l’effondreme­nt du pont Morandi. La rue commence. S’arrête. Puis recommence .... Ni les piétons, ni les voitures ne peuvent désormais aller d’un bout à l’autre de la via Walter Fillak. Alors, comme une gangrène, progressiv­ement, la vie s’échappe et la mort gagne du terrain. Lorsque le viaduc s’est effondré, c’est toute l’économie de ce quartier qui a été aspiré, aussi, par le vide...

« Gênes résiste. .. »

Lorsqu’on s’enfonce dans la rue, d’animée et colorée, de cosmopolit­e et bruyante, elle n’est plus que silence. Sur un mur, en lettres de sang, un tag : « Gênes résiste. 14.08.2018 ». Sauf que certains commerçant­s n’ont pas résisté bien longtemps. Terminé le minuscule coiffeur à l’ancienne, avec ses deux chaises en acier et cuir noir, joliment années soixante-dix. Fini le bureau de tabac. Fermés le snack, ou encore la petite pizzeria... D’autres ont choisi « l’entre deux ». Boutique close mais ouverte sur demande en appelant un numéro de téléphone. Un téléphone qui ne sonne pas souvent. Coûte que coûte, pourtant, ils sont une poignée à tenter de garder la tête hors de l’eau. Mais pour combien de temps ? « Il est 11 h 30 passées et c’est mon premier client de la journée », se désespère Saïd. Derrière son comptoir, il vient de vendre de la viande pour 14,75 euros. Il tient une petite boucherie hallal. Et fait aussi, un peu, épicerie. Quelques paquets de pâtes, quelques

boîtes de conserve. Deux ou trois bouteilles de jus de fruit : « Pour dépanner ». Mais, «plus personne ne vient chez moi» souffle-t-il. « Neuf, dix clients par jour », au mieux : ses habitués qui habitent «du bon côté ». Pas question pour ceux de l’autre côté de la zone rouge de faire 20 minutes de marche pour la contourner, là où, en deux enjambées, avant, ils arrivaient chez Saïd. «Dans deux ou trois mois, je vais fermer, c’est obligé. » Saïd lève les mains au ciel.

« C’est difficile »

Abdul résiste lui aussi. Il vend des fruits et légumes. « C’est difficile », lâche-t-il, « J’ai perdu au moins 40%

de ma clientèle ». Les journées passent lentement. Abdul reste planté devant sa petite échoppe. Et regarde les trottoirs de sa rue se vider. «A quoi ça sert maintenant de se lever le matin ?» Ivo habite le quartier depuis des lustres. Il avait ses habitudes dans une pizzeria à une centaine de mètres de chez lui. «Une fois par semaine, on se rejoignait avec des amis », raconte le vieux monsieur. Ça lui manque. Nostalgiqu­e, il regarde vers ces fichus barrières qui le coupent de ses habitudes. Sa pizzeria est « de l’autre côté ». L’autre côté de la via Walter Fillak... Même désolation. Même chape de plomb. Même rideaux de fer baissés qui côtoient commerces à l’agonie.

Au début de la via Certosa, une petite rue parallèle à la via Walter Fillak, les rayons du bar-bureau de tabac sont quasiment vides. «Il n’y a plus personne qui vient à part deux clients qui habitent juste en face » témoigne Paolo. Deux « vieux » Calabrais qui n’ont pas attendu le drame pour boire plus que de raison. Le tenancier des lieux en est sûr, lui aussi, « je vais fermer ». Un peu plus loin, Ahmed et sa petite échoppe de grille-pain et four à micro-ondes « deuxième main » se lamente. Le temps est si long en ce moment autour de la zone rouge. Long jusqu’à quand ? « Jusqu’à ce que l’on ne puisse plus tenir. Et c’est bientôt.»

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Il est  heures  et Saïd voit enfin son premier client de la journée dans sa petite épicerie-boucherie. Abdul, qui vend des fruits et légumes et quelques produits de première nécessité assure qu’il a perdu plus de  % de sa clientèle.
 ?? (Photos Frantz Chavaroche ?? Chape de plomb au bout de la via Walter Fillak, avant la coupure imposée par la « zone rouge».
(Photos Frantz Chavaroche Chape de plomb au bout de la via Walter Fillak, avant la coupure imposée par la « zone rouge».
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