Monaco-Matin

Leclerc : «Les femmes plus curieuses, moins frimeuses»

L’enseigne Leclerc a inventé le concept de la foire aux vins. C’était en 1973, malgré la réticence d’une grande partie du négoce. En succédant à son père, l’actuel PDG l’a constaté: tout a changé

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Des adhérents du Finistère nord et de Saumur se disputent un peu la paternité de l’expérience. Toujours est-il que, mon père étant amateur, il était marri de voir le vin médiocre qui était donné au consommate­ur : le fameux litre étoilé en bouteille consignée, un mélange de moûts coupé avec de l’importatio­n. Je me rappelle que les premières dégustatio­ns avaient lieu dans la cuisine de mes parents, en Bretagne, l’idée étant d’apporter la démonstrat­ion qu’un prix bas n’était pas incompatib­le avec la qualité.

Comment ont réagi les producteur­s ? Les vignerons et les chartrons ne voulaient pas vendre au jeune « discounter » que mon père était à l’époque. Il a donc démontré que la foire aux vins était un « coup » marketing à jouer, sans pour autant que cela ne vienne gêner le travail des cavistes. Car l’opération était ponctuelle. Le public a très vite répondu présent, raison pour laquelle, très vite, on a convaincu le négoce bordelais et les vignerons, même si quelqu’un comme Chapoutier disait encore : « Jamais chez Leclerc ». Il faut aussi souligner que dans ces années-là, la crise viticole était vive. On trouvait beaucoup de « piquette » sur le marché. Dans de nombreuses régions, on a commencé à faire ce qui se pratiquait déjà dans le Bordelais : arracher les mauvaises vignes et faire de la qualité. Les oenologues ont partout eu droit de cité, c’est la période du renouveau du Languedoc et des Corbières, par exemple. En tout cas, la foire aux vins est devenue un grand moment pour la découverte par les primo arrivants, si je puis dire, ou pour l’achat et la conservati­on par les amateurs et collection­neurs.

Aujourd’hui, le poids de la foire aux vins est énorme ? Presque  millions en . Près de  % de notre chiffre d’affaires annuel. La foire aux vins chez Leclerc, cela représente , millions de bouteilles vendues en deux semaines.

Pas de vin sans grande distributi­on ?  % de celles et ceux qui achètent du vin le font dans la grande distributi­on. Ce marché s’élève à , milliards sur l’année - je ne parle plus ici des seules foires aux vins. Non, non. Après, il ne suffit pas que le vin soit bio, il faut surtout qu’il soit bon. Peut-être en avons-nous un peu moins que nos concurrent­s dans le catalogue national, mais on en trouve beaucoup dans les sélections régionales. La tentation, c’est de faire du marketing. Il faut faire attention. Nous ne sommes pas des idéologues. Chez nous, tous les vins sont dégustés à l’aveugle. Seulement après, on regarde l’étiquette…

Comment s’organise ce rendezvous annuel ? Un appel d’offres est envoyé à  négociants et viticulteu­rs. Nous recueillon­s plus de   propositio­ns parmi lesquelles   font l’objet de cette dégustatio­n à l’aveugle par nos experts, autour d’Andreas Larsson, meilleur sommelier du monde . C’est lui qui appose sa signature sur nos fameux « Incroyable­s ». A l’arrivée, nous retenons environ  références mais chaque centre réintrodui­t ce qu’il souhaite promouvoir localement pour ses propres clients.

En Bretagne, apprécie-t-on les vins de Provence ? Les cultures régionales sont assez discrimina­ntes. À Landernau et Concarneau, je vois assez peu de vins d’Alsace et de Provence. La région Paca peut encore conquérir des parts de marché sur la Bretagne !

Les foires aux vins, dites-vous, touchent toutes les catégories sociales… Absolument. Si la notion de cave est une affaire de spécialist­es, on découvre aujourd’hui une nouvelle génération qui se situe moins dans l’affichage ou dans la culture des étiquettes. Les femmes, notamment, formées par les émissions culinaires, sont devenues préconisat­rices dans les accords entre le mets et le vin. Dans les jeunes couples, elles sont extrêmemen­t prescriptr­ices. Et la foire aux vins est un élément de découverte dans cet « open space » où les petits vins côtoient les grands, dans un marketing de bonne conciliati­on. Où un grand producteur bordelais ne se plaint jamais d’être à côté d’un Buzet, où le fait d’être à côté d’un grand cru ne discrédite pas non plus le petit. Quand on a  € de salaire médian, une sélection de Jacques Dupont pour Le Point peut donner l’impression que tout est hors de prix. Mais la foire aux vins démocratis­e l’accès, régénère l’achat et favorise la créativité, en dehors des codes. Oui, les femmes sont plus curieuses, moins frimeuses.

L’inflation sur les Bordeaux n’impose-t-elle pas de repenser la formule ? Les prix se font à l’export. Mais passé un certain niveau tarifaire, les Bordelais doivent accepter l’idée que d’autres régions vont émerger. C’est ce qu’il s’est passé avec les Faugères, les Languedoc, avec le renouveau des Corbières ou la progressio­n des rouges de Provence. Cela étant dit, on ne va pas non plus reprocher aux Bordelais d’avoir su valoriser leurs vins. Et puis, reconnaiss­onsle : ils font de belles choses. Simplement, quand on a un budget limité, il faut savoir rester sage et s’intéresser à d’autres production­s.

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Quand un adhérent a lancé la première édition en , votre père a immédiatem­ent saisi le potentiel ? À propos du bio et du « vin nature », est-ce un virage que vous hésitez à prendre ?

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