Monaco-Matin

Charles Aznavour petit et si grand, la vie en chantant

Annoncée hier matin, sa disparitio­n a fait le tour du monde. Peu d’artistes français auront eu, comme lui, une audience internatio­nale

- FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Charles Aznavour a vécu en chantant, il est parti en dormant. L’artiste s’est éclipsé discrèteme­nt dans la nuit de dimanche à lundi, alors qu’il dormait dans sa maison de Mouriès, au coeur battant de ces Alpilles, où il nous avait reçu au printemps. Une vaste villa provençale dont il avait lui-même dessiné les plans et dont les oliviers centenaire­s faisaient sa fierté.(Lire en page 48). Charles Aznavour avait donc 94 ans. Il mesurait à peine plus d’un mètre soixante et c’était pourtant un géant. Plus de soixante-dix ans de carrière. Il avait écrit ou coécrit plus de 1000 chansons et en avait enregistré 1300. Qu’il interpréta­it dans huit langues. S’attachant souvent à traiter de sujets difficiles, dont certains n’avaient même jamais été abordés. L’homosexual­ité dans Comme ils disent .Ou la nostalgie des amours évanouies dans Tu t’laisses aller. Ce dont, pour sa part, il avait su se garder. « Défricher des thèmes inédits relevait, chez lui, d’une véritable discipline », se souvient un autre grand, Maxime Le Forestier. Lors de leur dernière rencontre, Aznavour lui avait fait cette confidence: « Je ne peux plus chanter tous les jours. Mais si je n’ai pas un rendez-vous par semaine (avec le public, NDLR), j’ai l’impression que je ne sers à rien. » Jusqu’à la fin, il aura donc tenu la scène. Dans un répertoire si dense et prolifique, chacun retiendra « son » Aznavour. Celui de La Bohème ou de La Mamma. Je m’voyais déjà, Emmenez-moi, Les Comédiens. Hier encore ou For me, formidable résonneron­t longtemps encore. Maxime Le Forestier définit son identité : « Il est le premier à s’être emparé de la sensualité. L’amour physique. Le corps. Avant lui, on parlait d’amour. Après lui, on l’a chanté. »

Il avait écrit pour Johnny et Sylvie

Né à Paris de parents arméniens ayant fui la Turquie, Aznavour s’était lancé dans la chanson au tout début des années quarante. Sa rencontre avec Edith Piaf l’a propulsé au sommet. Mais on n’oublie pas qu’il a sans cesse été un homme de son temps, capable d’écrire Retiens la nuit pour Johnny ou La plus belle pour aller danser, pour Sylvie! La France, mais aussi le monde à ses pied. Charles Aznavour s’est construit une carrière internatio­nale, lui à qui des professeur­s de chant clairvoyan­ts avaient d’abord conseillé de choisir un autre métier. L’Europe, l’Asie, la Russie ou les Etats-Unis. Avec même une étoile sur Hollywood Boulevard. Comment, dans ces conditions, envisager des adieux? Jean-Pierre Foucault se souvient : « La dernière fois que je l’ai vu, il y a quelques mois dans le restaurant de Marc Veyrat en Savoie, Charles Aznavour m’a expliqué qu’il se rendait à Genève avec son chauffeur, et que la semaine suivante il prenait l’avion pour le Japon. Incroyable! Cet infatigabl­e globe-trotteur ne voulait pas, ne pouvait pas quitter la scène. » L’animateur l’avait déjà compris lorsque, pour les 80 ans d’Aznavour, il lui avait consacré une émission au Palais des Congrès, à Paris, où étaient venus chanter en duo ses intimes, dont Liza Minnelli. « Il m’avait expliqué ne pas pouvoir envisager de s’arrêter. En prenant l’exemple de Maurice Chevallier qui, lui, avait décidé de se retirer, et en était mort. La scène a donc été le moteur de sa vie, jusqu’au bout du bout. »

« Une leçon pour nous tous»

« C’est une leçon pour nous tous », témoigne Maxime Le Forestier. « À part Jacques Brel et Jean-Jacques Goldman, personne n’a quitté la scène de son plein gré. » Il observe qu’Aznavour, prudent, n’a jamais fait ses adieux. « Vers l’âge de 65 ans, il s’est lancé dans une tournée d’adieux, ce qui est différent. Il s’est abstenu d’indiquer quand celle-ci s’arrêterait. Elle a donc duré vingt ans. Il en avait besoin, il aimait cela. Vraisembla­blement, le public aussi. » Les cinéphiles pleurent également l’acteur de Tirez sur le pianiste ou Un taxi pour Tobrouk. Parmi eux, Robert Hossein, qui avait tourné avec Aznavour dans plusieurs films, dont Le Temps des loups et La Part des Lions. Il salue son « immense talent » et sa « grande générosité ». Décrit « quelqu’un de lucide, douloureux, très conscient du monde dans lequel nous vivons ». Rend hommage à la curiosité de l’ami qui, jusqu’à la fin, « allait partout, s’intéressai­t àtout» . Mais ce qu’il retient avant tout, c’est «la profonde humilité » d’un homme qui, bien qu’enraciné dans la langue et la culture de la France, menait sans bruit ses combats pour la tolérance et la fraternité. Et pour l’Arménie, où son ami et compatriot­e Michel Legrand, compositeu­r aux trois Oscars, l’a souvent accompagné. « Nous étions demi-frères dans la douleur. »

La scène a donc été le moteur de sa vie ”

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(Photo IP) Charles Aznavour en concert en .

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