Monaco-Matin

Parolier de Charles Aznavour (et de bien d’autres encore)

Michel Jourdan est un homme de l’ombre. Derrière cette silhouette discrète se cache pourtant l’auteur de paroles célébrissi­mes. Il a notamment signé plusieurs textes pour – et avec – le grand Charles

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALICE ROUSSELOT arousselot@nicematin.fr

Quand on évoque les chansons écrites par Michel Jourdan, le risque est de plonger dans un exercice pompeux de name-dropping. Mike Brant, Marie Laforêt, Johnny, Dorothée, Claude François, Nana Mouskouri, Barbra Streisand, Dalida… Le Niçois a tout bonnement écrit pour les plus grandes stars. Même pour Charles Aznavour, son « maître » décédé lundi. Yeux malicieux, sourire facile, Michel Jourdan, 84 ans, est un homme de l’ombre. Un homme «timide et introverti». Heureux, pourtant, de se dévoiler à une table de son nouveau QG mentonnais : le « Vintage ». Rencontre – dans une ambiance rock’n’roll – avec un amoureux de variété. Qui assure n’être ni auteur, ni poète. Mais bien parolier.

D’où est née votre vocation ? Déjà petit, nos voisins m’avaient pris en flagrant délit de ce pour quoi j’étais fait. À l’époque, on chantait « Marinella ». Mais ils m’avaient entendu dire « Mamine est là », référence au nom que je donnais à ma mère. C’est sur les conseils de Louis Nucéra que je suis parti à Paris – sans rien dans les poches. J’y ai fait des tas de petits boulots, et plusieurs tentatives auprès d’éditeurs – qui m’ont fermé leurs portes. Jusqu’à ce que Gilbert Marouani accepte de me faire passer un examen de passage.

Grâce à lui, vous avez pu avoir votre premier succès… Il m’a proposé de faire l’adaptation d’une chanson qualifiée pour le Festival de San Remo, « Una Lacrima sul viso », un morceau de Bobby Solo, en me prévenant qu’il la donnerait à des auteurs confirmés. J’étais en concurrenc­e avec des monstres, pourtant il m’a dit : « Vous avez une plume, mais aussi une oreille. Vous êtes le seul à avoir inversé le

titre pour que ça passe mieux musicaleme­nt. » Sur ton visage une larme…

Qui était Aznavour pour vous ? Je le considère comme un maître absolu. Je voyais en lui un rêve et un exemple. Il avait un immense talent, tout en étant très humble. Il a toujours aimé apporter quelque chose aux autres. Il a tellement osé qu’il est devenu quelqu’un d’unique. Nous avons commencé à écrire des chansons ensemble. Quelque chose de très fort est né entre nous. Il me faisait faire des devoirs sur des musiques qu’il venait de composer. Au début, il rayait toute la page. Puis il a commencé à moins rayer. Il m’a appris l’essentiel, en me guidant. C’est lui qui m’a poussé à avoir un dictionnai­re des synonymes pour éviter les répétition­s.

Quel autre artiste vous a marqué ? Julio Iglesias, pour son humour et son humanité. On a toujours osé tout se dire. On s’engueulait souvent dans les studios. Un jour, il m’a dit « Tu vois, je me rapproche de l’accent français » .Jeluiai répondu « Espèce de con, tu te perds. Reste toi-même. »

Et une chanson ? « Il a neigé sur Yesterday » ! Quand j’ai appris que les Beatles se séparaient, ça a été un choc. Comme un deuil. J’ai écrit un texte partiel : un début de couplet et un refrain. Jean-Claude Petit, illustre arrangeur de musiques de films, a trouvé presque immédiatem­ent un air pour le refrain. Mais quand il est arrivé à la fin, il n’y arrivait plus. Il a filé le bébé à un copain, Tony Rallo. C’est lui qui a pris le relais. Résultat, c’est le truc le plus original qui soit.

Quid de « Qui saura » ? Mike Brant travaillai­t avec un producteur, Jean Renard. Ils se sont fâchés parce qu’il voulait absolument chanter « Che Sarà ». Il l’avait tout de même enregistré­e et en a fait cadeau à son nouveau producteur, Charles Talar. À l’époque, on soupçonnai­t tout le gratin de l’enregistre­r en italien. On m’avait demandé d’en faire une version française, mais pour personne en particulie­r. Quand elle est sortie, un ami m’a emmené chez Mike Brant pour que je l’écoute. J’étais sur le cul. Malgré son accent, il avait un instinct du parler vrai. Si une chanson n’est pas bien racontée, elle n’intéresse personne. Mais derrière tous ces succès, il ne faut pas oublier qu’il y a aussi des échecs. C’est une question de pile ou face. Moi, j’ai appris en travaillan­t beaucoup. Certaines de mes chansons ont le titre au début du refrain. Pour d’autres, il est à la fin, en conclusion. Il s’agit alors de partir de la dernière ligne pour remonter au début. J’y passe des jours et des nuits. Le morceau que j’ai écrit pour Calogero est l’un de ceux-là. Notre collaborat­ion s’est faite presque par hasard. J’étais aux éditions Barclay, Martine Marouani ouvre la porte et se trouve nez à nez avec Calogero. Elle lance alors « Vous devriez écrire une chanson ensemble ». On était gênés, puis on a tous les deux éclaté de rire.

N’est-ce pas difficile de rester l’homme de l’ombre ? Au fond, j’aime cela. Quand je croise quelqu’un dans la rue qui siffle l’une de mes chansons et qu’on échange un regard, c’est un cadeau. Et puis de cette manière, je ne suis jamais importuné. Alors que si j’étais auteur-compositeu­r ou interprète, je serais dérangé tout le temps. En préfaçant mon livre, Mes refrains font chanter le monde, Charles Aznavour a peut-être en partie contribué à me faire sortir de l’ombre. Je n’aurais pu rêver mieux que cette contributi­on.

Quel lien entretenez-vous avec Nice et la Côte d’Azur ? Je viens beaucoup trop rarement. Mais j’y ai gardé des amis. À Menton, où je viens tous les étés, je demeure chez l’ancienne épouse de mon père. C’est mon port d’attache. Nice me met parfois le blues, ça me rappelle la guerre, des moments douloureux. Même si tout ne l’était pas. J’allais à l’école Saint-François de Paule. J’étais très mauvais en niçois, et j’en jouais. J’ai toujours été partant pour la rigolade.

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(Photos A.R.) Michel Jourdan a écrit une chanson de rock pour le fils du patron du « Vintage ». Comment écrivez-vous ?
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