Monaco-Matin

RENCONTRE Eternel Antoine Bonifaci

Ancienne gloire du Gym parti en Italie dans les années 50, ce Monsieur de 87 ans a marqué le temps et les gens

- PHILIPPE CAMPS

Hier, il avait le monde du football à ses pieds. Antoine Bonifaci était un génie du jeu. Un crack, un surdoué, une star. Ses amis s’appelaient Marcel Pagnol, Raymond Kopa ou Jacques Anquetil. Julien Giarrizzi, journalist­e et mémoire de Nice-Matin le surnommait l’architecte. Logique : c’est lui qui construisa­it le jeu. Au milieu, il savait tout faire : récupérer, relayer, organiser. Pro à 17 ans, internatio­nal et champion de D1 avec l’OGC Nice à 20 ans, premier Français transféré en Italie à 22 ans : Antoine Bonifaci a vécu tout ça avec la même légèreté qu’il mettait à contrôler un ballon. « J’ai toujours joué pour m’amuser » affirme l’homme qui a connu l’après-guerre et les avant-gardistes. Un ovni, on vous dit. Un phénomène né pour le succès, fait pour le bonheur. Aujourd’hui, Antoine Bonifaci a 87 ans. Il ne sort plus de chez lui à cause de ses jambes endormies. De son fauteuil, il peut voir le stade qui porte son nom ou la rade de Villefranc­he. Mais le plus souvent, il regarde la télé. Les journées peuvent être longues. Surtout quand il pense à tous ceux qui sont partis. « Mes copains ne viennent plus me voir : ils sont au cimetière. Je téléphone à leurs veuves quand je parviens à les entendre... Le matin, je lis le journal, je commence par les avis de décès. On ne sait jamais, mon nom peut y figurer. Comme je ne le trouve pas, je passe aux pages sports...» Ses petits yeux bleus pétillent. Antoine Bonifaci sourit. Il n’a rien perdu de son sens de l’humour. Il a passé sa vie à feinter l’adversaire, à dribbler la mort.

« Je suis un poilu du football »

Face à nous, il est dans le match. Offensif, drôle, lucide, moqueur, sensible, précis, mais aussi touché et tellement touchant. « Je fais partie des oubliés du football. Je suis un poilu ! A ce sujet, j’ai joué le premier France-Allemagne de l’histoire après la guerre 39-45. C’était en octobre 1952 à Colombes. Il y avait une tension incroyable. J’ai su ce que signifiait le silence pendant l’hymne allemand. Après, même les oiseaux avaient chanté la Marseillai­se.» Il ne dira pas que Fritz Walter, célèbre capitaine de la Nationalma­nnschaft, avait eu cette phrase : « Bonifaci est le meilleur milieu de terrain que j’ai eu à affronter ». Un sourire suffit. Ce sourire, il l’a depuis qu’il est arrivé à Villefranc­he. C’est-à-dire depuis tout petit. Son père facteur - « c’était un homme de lettres » - avait été muté sur la Côte. Un enchanteme­nt. La suite de l’histoire est connue. « Mes parents avaient pris un restaurant. Moi, je passais mon temps avec une balle ou un ballon. Puis, je suis passé de Villefranc­he au Gym. Des amateurs aux pros. Des petits matchs au doublé Coupe-championna­t.» Bref, de l’anonymat à la célébrité. Nice, c’est le top de l’époque. C’est Numa Andoire, coach et personnage haut en couleurs. C’est Jean Belver et Désir Carré : « Ils avaient une technique exceptionn­elle. Je me suis contenté de les copier...» Lors d’un tournoi amical en Italie, il tape dans l’oeil des dirigeants de l’Inter Milan. Va pour l’aventure ! « J’ai connu ma femme à Monaco. On s’est marié et je l’ai amenée en Italie pour un voyage de noces qui a duré huit années...» Avant Platini, avant Deschamps. Avant tout le monde. Un exil qui lui coûtera sa place en équipe de France : « Pour le sélectionn­eur Paul Nicolas, quitter la France, c’était quitter les Bleus. » Les temps ont bien changé. Là-bas, il croise Omar Sivori : « Peut-être le plus fort que j’ai rencontré. Il jouait à la Juve, moi au Torino. C’était chaud...» Sivori, l’Argentin. Amalfi, le Brésilien. Son frère de jeu sous les couleurs de l’OGC Nice. « Quand il est arrivé, il avait des chaussures de foot brésilienn­es alors qu’on jouait avec des godillots de montagne. Il était beau. Avant les matchs, il se coiffait même les sourcils et la moustache. Quand on allait à Juan-les-Pins qui était le Saint-Tropez de l’époque, toutes les filles se retournaie­nt sur son passage. Il avait des jambes superbes : fines et musclées. Mais sur le terrain, on travaillai­t tous pour lui. Pour qu’il se permette de grimper sur le ballon afin de scruter l’horizon... C’était un peu le Balotelli d’hier ! Lui, les spectateur­s l’adorent parce que lorsqu’il frappe un coup franc : il marque ou il envoie le ballon dans la tribune et ils peuvent partir avec...» Après le sens de l’humour, celui de la formule.

« Le Ballon d’or ? Je vote Mbappé»

Antoine Bonifaci est dans son match. Parlez-lui du foot d’aujourd’hui et le ballon vous reviendra dans les pieds. Le une-deux parfait. « Je regarde tous les matchs. Que voulez-vous, je n’ai rien d’autre à faire. Mon coeur penche pour le Gym. Mais je regrette Plea. Sans lui, c’est pas la même musique. Thierry Henry à Monaco ? Wait and see comme on dit. La Coupe du monde ? On l’a gagnée sans jouer le meilleur football. Mais le vainqueur a toujours raison, non... Le Ballon d’Or ? Je vote Mbappé. Il n’y a pas d’âge pour être le meilleur. Pas d’âge pour être récompensé. Il est jeune. Et alors ! C’est le plus fort. Il est impression­nant de vitesse et de maturité. Mais tout là-haut, il y a Pelé. C’est lui le plus grand joueur de tous les temps. Quant à la vidéo, c’est du temps perdu. Le football est un jeu simple. Un jeu où le plus important n’est pas de courir, mais de faire courir le ballon.» Lui le faisait voyager. En première classe. Certains avancent même qu’il est l’inventeur de la transversa­le. Avec des ballons de 800 grammes. Un kilo par temps de pluie. Cinquante-cinq ans après sa dernière passe chez les pros, Antoine Bonifaci a toujours des fans. Comme Richard Conte, l’ami des footballeu­rs et des belles causes, comme Bernard Morlino journalist­e, blogueur, Villefranc­hois et passionné. Il a surtout une fille Patricia et un gendre, Jean-Luc, qui font sur lui un marquage individuel plein d’amour. Antoine Bonifaci a 87 ans. Il a marqué le football et les gens. Il ne peut plus marcher, il entend mal et souffre parfois d’être seul au milieu de ses souvenirs. Mais sa vie est comme lui. Elle vaut son pesant d’or et d’éternité.

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