La régularité aux côtés d’un as de la… vitesse
Dans la salle de briefing de l’Automobile Club de Monaco, journalistes et « VIP » sont un brin dissipés. Excités, même, à l’idée de participer pour la première fois à deux spéciales, en marge de la troisième édition du eRally Monte-Carlo. Mais les organisateurs ne sont pas dupes et appellent volontiers à la prudence en cette nuit noire, où l’asphalte détrempé ne sera clairement pas le meilleur allié de notre véhicule électrique. Un appel à la vigilance, non pas à destination des journalistes copilotes, mais bien pour les pilotes VIP. Pour certains de véritables têtes brûlées, jadis engagées en F1, GP2 ou rallye. Le « vrai », celui de vitesse. « Il a beaucoup plu ces dernières heures. Attention aux coulées de boue, aux éboulements », nous prévient-on. « Vous serez traqués, surveillés toute la nuit grâce à nos écrans et un boîtier installé dans vos voitures », surenchérit Jacques Rossi, directeur de course du eRallye. Pas de place, donc, pour les écarts de conduite. Les règles, fortement allégées pour nous, semblent enfantines. Être régulier avec une vitesse moyenne à respecter. D’autant plus simple que le problème de recharge des batteries n’est pas à l’ordre du jour, ce soir-là. Et les organisateurs nous ont même mâché le travail en indiquant le temps de référence à respecter pour chaque kilomètre parcouru. Fastoche? Pas si sûr.
« Excitant intellectuellement »
Si certains se lancent toutefois dans des calculs mathématiques savants pour affiner ces temps de passages, j’opte pour les conseils d’un vieux briscard, d’un expert reconnu de la régularité :DidierMalga.Champion en titre du eRallye Monte Carlo. « Il faut mettre un coup de gaz avant les épingles car c’est là où l’on perd du temps. Il faut se mettre un point de repère tous les 500 mètres. C’est très excitant intellectuellement. Alors que la vitesse, c’est un truc de bourrin… » Problème, le tirage au sort m’a fait hériter d’un pilote, pas réputé pour être tendre avec la pédale d’accélération. Le Monégasque Stéphane Richelmi (1), 28 ans, biberonné aux grandes embardées, bercé par les exploits de son paternel en rallye terre. Sa première en électrique, à bord de la Renault Zoé floquée du numéro 107, promet un dépaysement total. « Ce n’est pas quelque chose de naturel pour moi. Il n’y a pas de bruit, pas de vibrations. D’habitude, j’attaque, je repousse les limites », me glisse-t-il en partant du port Hercule à 20h52 pétantes. Batteries chargées à bloc, nous prenons la route de Coaraze pour la première spéciale en nocturne (ZR9), en respectant scrupuleusement l’itinéraire de notre road-book pour échapper à d’éventuelles pénalités, synonyme de dégringolade au classement.
Tempérer les ardeurs d’un pilote féru de vitesse
21h43, départ de la ZR9 . Ce qui semblait simple comme bonjour sur le papier se révèle en réalité un véritable numéro de funambule. À chaque kilomètre, nous tâchons de rééquilibrer la fameuse moyenne de 35 km/h indiqué par les organisateurs à notre départ. Une tâche pour le moins ardue pour les novices que nous sommes, d’autant plus avec un véhicule orphelin d’appareils électroniques et d’un cadenceur, a contrario des professionnels de la régularité. Je gère le timing, surveille le chronomètre du smartphone, tempère les ardeurs de mon pilote, franchement tenté d’appuyer sur le champignon dans les courbes sinueuses du haut pays. Dans la nuit noire, sur un asphalte détrempé, il n’y a guère le temps d’observer le paysage si ce n’est les moult pièges, entre flaques, trous dans la chaussée et cailloux tombés sur le bitume. Ce qui vaudra d’ailleurs quelques mésaventures gastriques à certains de nos confrères. Encore plus vrai au coeur de la ZR 10 (départ 22h40) entre La Bollène-Vésubie et Sospel, par le col de Turini. Une épreuve respectée, redoutée mais adulée par les pilotes de rallye, fussent-ils au volant de voitures électriques. Les phares éclairant faiblement la route, la Zoé flirte alors dangereusement avec le muret lors de quelques épingles abordées à vive allure par Stéphane Richelmi. Mais le jeune homme maîtrise son engin. Évite la casse. Lui qui était un brin effrayé à l’idée de ne pas dépasser les 40 km/h se fait tout de même plaisir sur cette route mythique, où les pilotes de WRC jouent d’ordinaire avec la vie avec une vitesse à trois chiffres. Hormis lors du passage frustrant de Moulinet avec une vitesse obligatoire de 30 km/h. L’arrivée, dans le temps imparti, à Monaco confirmera que notre chrono nous aura fait défaut et que l’incompréhension d’une règle nous aura fait louper le podium (chauvinisme quand tu nous tiens!). Une quatrième place sur huit équipages. Honorable pour les benjamins de cette compétition.
(1) Champion du MondeWRC LMP2 2016 et vainqueur GP Monaco GP2 en 2014.