Inaugurée en grande pompe le octobre
Comme conclusion à de très longues années de chantier de part et d’autre de la frontière, les Italiens souhaitaient que l’inauguration de la ligne se tienne le 28 octobre 1928. Question de symbole : on doit fêter ce jour-là le 6e anniversaire de la Marche sur Rome, qui avait abouti à la victoire des fascistes. Depuis, cette date est inscrite dans le cortex des pro Mussolini comme un jour pour inaugurer des grandes réalisations. Refusant d’accorder une telle tribune politique aux voisins, La France s’y oppose. L’inauguration est fixée au 30 octobre. On y envoie les ministres des travaux publics, André Tardieu et son homologue Giovanni Giuriati. En réalité, plusieurs trains ont déjà circulé dans les mois qui ont précédé. Le premier part de Nice SaintRoch le 20 mai 1928, avec une flopée d’ingénieurs à son bord. Il s’arrête au niveau des principales prouesses architecturales. Mi octobre, un autre mini train circule, à l’attention de la presse, cette fois-ci. Mais ce n’est évidemment rien comparé à la fête organisée le jour J. On décide que la halle «import» de la gare de Breil se transformera en salle de banquet pour les 400 convives. Deux trains doivent s’y rendre : l’un au départ de Cuneo, avec les Italiens. L’autre, au départ de Nice, avec les Français. En amont, les gares sont décorées, du mobilier, de la vaisselle et des mets raffinés sont acheminés depuis Nice. Un premier train français part à l’aube, vers 6h, rempli de militaires dont la mission consiste à se poster tout le long du tracé, de manière à être vus depuis le train inaugural. La locomotive inaugurale prend le départ à 9h50, à Nice-ville. Vingtcinq journalistes sont de la partie. Dans toutes les gares du parcours, des habitants et des élus attendent pour saluer les wagons victorieux. Le train français arrive à 11h45 en gare de Breil, avec une demi-heure de retard, imputable à cet accueil festif réservé aux officiels. En conséquence, l’engin ne peut se rendre jusqu’au viaduc de Scarassoui, pour ne pas avoir à croiser la rame italienne, déjà partie de Cuneo, drapeaux français et italiens en tête. À l’arrivée des deux trains en gare de Breil, les hymnes nationaux retentissent.
En vue d’un départ commun pour Vintimille, une manoeuvre permet aux deux trains de n’en faire plus qu’un. Symbole d’une unité et d’une amitié que les ministres franco-italiens louent à loisir. «La latinité est en fête et les Alpes, vaincues par l’effort humain, se sont inclinées devant une volonté francoitalienne. La France et l’Italie ont le devoir de mieux se connaître et de mieux s’aimer. Il dépend de nos volontés que l’arbre fleurisse et grandisse», clame André Tardieu. «Par la grandiose et sévère beauté des lieux qui les séparent, notre mer lumineuse de la Riviera et les monts de notre vieux Piémont sont enfin
réunis», lui répond, en écho, Giovanni Giuriati. Mais du côté des observateurs, tout n’est qu’illusion. On regrette qu’aucun chef d’État ne soit présent. A l’inverse des forces militaires, surdéployées de part et d’autre de la frontière. Preuve que les tensions entre les deux pays n’ont été que temporairement effacées. Dès le lendemain de l’inauguration, la ligne est ouverte à l’exploitation commerciale. Locaux, touristes et ingénieurs s’empressent de monter à bord. Trop heureux de bénéficier enfin d’une ligne internationale.