Chronique d’un interminable chantier pharaonique
Quoi, mieux que le viaduc de Scarassoui pour illustrer le génie et la démesure du chantier côté français ? L’ingénieur en chef, Paul Séjourné, l’assumait : «C’est le premier des ouvrages français qu’on verra en venant d’Italie. C’est comme une entrée en France, il la faut digne d’elle (...) Pour tous les ouvrages, l’aspect importe. Il n’est pas permis de faire laid.» La boucle helicoïdale de Berghe s’inscrit au fond dans le même esprit, la même volonté : impressionner le voyageur arrivant d’Italie. Malgré des moyens rustiques, les ouvriers parviennent à réaliser un rond dans la montagne. Et quand les deux bouts se rejoignent, il n’y a que... cm d’écart ! Paradoxalement, c’est avec de très petits moyens que les ouvriers auront permis ce gigantisme. Avec des piques et des pioches, principalement, quelques machines à vapeur. Et le savoir-faire d’entreprises telles que Gianotti et Mercier. Le tramway reliant Menton à Sospel offre quant à lui la possibilité d’acheminer du matériel sur site. Jour après jour, mois après mois, les équipes doivent combattre les éléments. A commencer par un fort dénivellé (m en une soixantaine de kilomètres), et par la nécessité de creuser une dizaine de tunnels entre Nice et Cuneo afin de traverser les montagnes. Effondrements, glissements de terrain, crues jalonnent les intenses journées de travail des ouvriers. Contraints à endiguer certaines zones, comme la vallée du Paillon, à dévoyer certains cours d’eau. A terrasser des plateaux pour que puissent être implantées les gares. Imposantes, ces dernières demandent également beaucoup de main d’oeuvre. Dès , près de troiscent ouvriers s’attèlent à préparer le terrain pour la gare de Breil. Même les édifices les plus modestes bénéficient d’un joli style néo provençal. Rien ne doit être négliglé. L’impression d’un chantier interminable tient également du contexte politique. Tous les tunnels proches de la frontière doivent être équipés (Photos collections Gérard de Santos, Jean-Louis Taylor et Michel Braun)
de système de défense (en cas d’offensive italienne). Quand éclate la guerre, les travaux sont suspendus. Malgré quelques tentatives de poursuivre, coûte que coûte. Même au lendemain du conflit, le chantier tarde à reprendre. Et pour cause : les caisses sont vides. Ils ne reprennent finalement qu’en . Aujourd’hui, la ligne si difficilement
engendrée représente un parfait échantillon de l’histoire de l’architecture ferroviaire : côté italien, des viaducs avec des voûtes en brique, des années -. Entre Nice et Fontan, de beaux ouvrages en pierre, réalisés dans l’entre deux guerres. Puis, ponctuellement, du béton. Synonyme de reconstruction.