Monaco-Matin

Transport aérien: les vérités qu’on vous cache

Jean-Louis Baroux, président du salon de l’aviation APG World Connect, à Monaco, en connaît un rayon sur les avions. Dans son dernier livre, il dénonce les folies du transport aérien

- PROPOS RECUEILLIS PAR LUDOVIC MERCIER lmercier@nicematin.fr

Ne vous fiez pas à sa jovialité et à sa bonne humeur. JeanLouis Baroux sait parfaiteme­nt dézinguer avec le sourire. C’est même plutôt un art de vivre. Président d’APG, fournisseu­r de services pour les compagnies aériennes depuis 1983, il est l’auteur de plusieurs livres en rapport avec le business des routes du ciel, notamment Compagnies aériennes : la faillite du modèle ,et Transport aérien : une profession au bord de la crise de nerf, aux éditions de L’Archipel (2010 et 2012). Des titres qui donnent le ton. C’est que l’aviation, c’est une vraie passion. Et voir comme cet univers a évolué, ça le met un peu sur les nerfs. Alors, surfant sur la tendance des révélation­s, il a publié l’année dernière Transport aérien : ces vérités que l’on vous cache, à L’Archipel toujours. À l’occasion du APG World Connect à Monaco, nous avons rencontré Jean-Louis Baroux et lui avons demandé trois choses que l’on nous cache. Autant vous le dire de suite : c’est agaçant. Vraiment très agaçant.

Le Yield Management est une stupidité

« Soi disant pensé pour le bonheur des clients, le yield management est en fait conçu pour maximiser les profits des compagnies aériennes. On vous annonce des tarifs qui n’ont aucun sens, et vous ne les trouvez jamais. Nice Palerme à 9 euros ? Il n’y a aucune raison. Ça paie le carburant jusqu’à Gênes, et après on fait comment? Sur un Paris New York, il existe plus de 110 tarifs différents. ParisNew York à 435 euros, ça n’est pas raisonnabl­e ! Ça ne paie pas le voyage! Le voyage coûte environ 800 euros. Mais si vous leur demandez ce prix-là, les clients se sentiront volés, parce qu’on a appris au consommate­ur que payer peu c’est acheter malin. Et en plus, les compagnies aériennes paient de la publicité pour vendre ces billets à perte ! C’est ahurissant! Les compagnies ont la hantise du siège vide. Sur chaque siège ils font de la recette, pour faire venir des passagers. Mais ces passagers ne couvrent pas les coûts. Ces coûts, il faut bien que quelqu’un les paie, ou alors les compagnies font faillite. Il faut quand même rappeler que ces dix dernières années, ce ne sont pas moins de 196 compagnies low-cost qui ont fait faillite, rien qu’en Europe. Tout le monde se bat pour mettre des sièges 10 euros moins cher que le voisin. Mais ces produits ne se trouvent pas sur le marché. Ou alors en très très faible quantité. Et ça donne aux clients la sensation que s’ils paient plus cher, ils sont volés. Le marché est devenu non pas fou, mais idiot. »

Les achats de pétrole à terme sont une folie

« En prévision des hausses de prix, les compagnies aériennes achètent du pétrole à terme, à bas prix. Par exemple, à 70 dollars. Et quand le tarif du baril augmente, elles appliquent au passager une surcharge carburant, au prétexte que le prix du pétrole a monté. C’est comme aller à Las Vegas, ou à Monaco d’ailleurs, et de tout miser sur le rouge, par exemple. Sauf que parfois, c’est le noir qui sort. En clair, parfois, le prix du pétrole s’effondre. Il peut tomber à 50 dollars. Et là, s’ils ont signé un contrat pour un baril à 70 dollars, c’est la perte sèche. Dans ces cas-là, ils blâment le système. Mais le système n’a rien à voir làdedans ! C’est eux qui ont fait ce choix. Toutes les grandes compagnies aériennes y sont passées. »

L’aéroport d’Orly est mal utilisé

« L’aéroport de Paris Orly est bloqué à 250000 mouvements par an, en vertu d’un décret de 1994 de Bernard Bosson. On nous a dit que c’était pour protéger les population­s riveraines. La vérité, c’est qu’il a été pris pour empêcher l’installati­on de British Airways sur le territoire français. L’aéroport de Roissy, lui, est géré par des quotas de bruit. Ça veut dire que si une compagnie fait plus de bruit que l’année précédente, elle doit payer une amende. Donc les appareils les plus modernes, les moins bruyants, vont à Roissy, et on envoie les avions plus anciens à Orly. Le résultat final, c’est que les riverains d’Orly ont les avions les plus bruyants qui leur passent au dessus. Pourquoi ne gère-t-on pas Orly comme à Roissy, avec des quotas de bruits? Pour une raison très simple. La flotte d’easyJet est une flotte très moderne. Si Orly était gérée avec des quotas de bruit, cela donnerait des capacités supplément­aires à easyJet qui les mettraient immédiatem­ent sur les grandes dessertes européenne­s, là où Air France essaie de gagner un peu d’argent. Pour protéger le système, on continue à dire qu’on va protéger les population­s riveraines. Mais en faisant cela, on enlève de l’emploi, et on utilise mal la plateforme. Tous les experts sont d’accord pour dire qu’Orly pourrait gérer 400 000 mouvements, alors qu’aujourd’hui elle en gère 212 000.» Des exemples comme ça, le livre de Jean-Louis Baroux en regorge. On aurait pu parler des indemnités de retard imposées par le règlement européen, ou des compagnies à bas coût. Des conflits sociaux à Air France, aux très gros porteurs, des autorités de contrôle aérien, aux agences de voyage, tous les sujets et tout le monde y passe.

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(Photo illustrati­on Richard Ray) D’après Jean-Louis Baroux, la flotte d’easyJet, très moderne, pourrait faire de l’ombre à Air France. Et c’est pour cela que l’aéroport d’Orly serait, encore aujourd’hui, limité dans le nombre de mouvements.
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Jean-Louis Baroux est dans l’aviation depuis plusieurs décennies. (Photo Jean-François Ottonello)
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Transport aérien, ces vérites que l’on vous cache, de JeanLouis Baroux, Editions l’Archipel,  pages,  euros.

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