VEILLÉE D’ARMES CHEZ LES GILETS JAUNES
Veillée d’armes pour les gilets jaunes, avant la mobilisation d’un 17 novembre aux airs de grande inconnue. Hier soir à Nice, ce mouvement citoyen spontané a affiché sa colère et ses paradoxes
Dès hier soir, le mouvement citoyen a commencé à afficher sa colère. Dans les rues de Nice et sur la promenade des Anglais ils étaient une centaine à arborer le fameux gilet jaune.
Les revendications, ça vient du coeur, ça vient des tripes ! » Sur la promenade des Anglais, Coralie laisse éclater sa colère. Niçoise travaillant dans le secteur de la santé, elle dit souffrir pour les retraités. « Les personnes âgées sont malmenées, et ça, ça m’est insupportable. Le carburant ? C’est la goutte qui fait déborder toutes ces revendications. Qui fait réagir enfin... » Hier soir à Nice, ils sont une bonne centaine à arborer le fameux gilet jaune. Un nouveau tour de chauffe avant le blocage national prévu le 17 novembre. Ce rendez-vous devant le Negresco a davantage mobilisé que les précédents. Signe, peut-être, que le mercure social monte à la veille du jour J. Ils sont actifs, chômeurs ou retraités. Ils ne se connaissaient que par écrans interposés. Les voici réunis à l’appel de Lisa, une jeune demandeuse d’emploi, via Facebook. Tout le symbole d’un élan citoyen spontané, enflammé, déstructuré, protéiforme, voire déroutant.
Chaîne humaine
Youssouf peut en témoigner. Ce livreur avait créé le groupe Blocage citoyen contre la hausse des taxes Nice St-Isidore. Hier, la page comptait 3 200 « participants » et 8200 « intéressés ». « Je ne pensais pas qu’il y aurait autant de monde », confesse Youssouf, qui précise aussitôt : « Je suis un porte-parole, pas un organisateur. Je serai là en tant que citoyen. » Se sentant sous pression, il a tenté d’annuler l’événement. Trop tard. D’autres internautes ont pris le relais. Tels Lisa. « C’est une immense chaîne humaine, constate-t-elle. Chacun apporte sa petite contribution. Des idées fusent de partout, on essaie de sélectionner les meilleures. Des gens timides ont de très bonnes idées. Et nous, on les écoute... contrairement au gouvernement. »
Colères multiples
La charge est lancée. En attestent les « Macron démission ! » scandés sur la Prom’ par des manifestants bien souvent néophytes. La colère gronde. Les colères, plutôt. Colères multiples de citoyens qui enragent contre leurs dirigeants. « Ils vivent dans un monde parallèle. Ils ne mesurent pas la souffrance sociale », entend-on dans les rangs. La fronde contre les taxes sur le gasoil en semblerait presque éclipsée. « C’est un ras-le-bol général qui s’exprime, explique Yuri, Niçois de 33 ans, conducteur d’engins, créateur d’un groupe Facebook qui compte 180 « partcipants ». La France en a marre. Marre de la hausse des taxes sur les cigarettes, des carburants qui rejoignent les prix de l’Italie... Tout augmente, sauf les salaires ! Alors un jour, certains se sont dit : “On va essayer de réveiller les gens...” »
Premières dissensions
Le risque ? Agréger les revendications pêle-mêle, au risque de virer au fourre-tout. De se heurter à la nécessaire réduction de la dépense publique. Et de susciter les presmières dissensions internes. Hier à Nice, les échanges ont parfois été vifs, avec ou sans micro. Martin et Marianne Fuchs, 67 ans, étaient venus tâter le pouls, avant d’enfiler leur gilet jaune samedi. Ils sont « très déçus » et le font savoir. «Si vous n’êtes pas contents, faites votre mouvement ! », éructe un manifestant. « Je suis pour la baisse des taxes, ça c’est sûr, mais pas pour qu’on mélange tout et n’importe quoi ! », rétorque Martin. Pas d’inquiétude pour Lisa : cette multitude de griefs ne serait pas forcément un handicap. « C’est ça qui est dangereux pour le gouvernement. De ça qu’il doit se méfier. »
Fronde pacifique
Les récentes mesures annoncées par Edouard Philippe n’ont pas calmé les ardeurs des manifestants. Ni apaisé le sentiment de déclassement qu’ils expriment parfois. « C’est le cri de “la France d’en bas”, pas une France de la haute classe », acquièsce Yuri. Il veut une « manifestation citoyenne portant des revendications pacifiques. On ne va pas bloquer, plutôt ralentir. » Après les bonnets rouges et Nuit debout, les gilets jaunes veulent investir les routes pour mieux libérer la voix publique. Et certains lorgnent déjà au-delà du 17 novembre.