«L’improvisation est le coeur et l’âme du jazz»
Le célèbre guitariste John Mc Laughlin était hier soir sur la scène de la salle Garnier pour une date exceptionnelle donnée dans le cadre du 13e Monte-Carlo Jazz Festival
Quelques heures avant son unique concert de l’année en Europe, donné hier soir, dans le cadre du 13e Monte-Carlo Jazz Festival, John Mc Laughlin était déjà sur scène, le matin, pour répondre aux questions du Monaco Press Club. Rendezvous inhabituel, sous les ors de la salle Garnier, avec le guitariste britannique, résident monégasque depuis 36 ans.
Ici, à Garnier, vous êtes entre amis, entre voisins… Tout à fait ! Je suis ravi d’être dans cette magnifique salle. La dernière fois, c’était il y a presque cinq ans, avec le groupe Shakti, dans le cadre d’un précédent Monte-Carlo Jazz Festival.
Comment définiriez-vous votre spectacle ? C’est spécial… J’ai invité le chanteur indien Shankar Mahadevan qui a le don de pouvoir improviser, ce qui est le coeur de toute la musique du jazz. C’est un maître pour cela. Nous jouons ensemble depuis dixhuit ans. Je voulais également faire une rétrospective de ma vie musicale avec le début des années , puis les musiques de Shakti qui ont commencé en ; et également faire un clin d’oeil à Paco de Lucía. Il y a enfin une partie plus contemporaine des années à nos jours.
L’improvisation est-elle la marque de fabrique du jazz ? C’est le coeur et l’âme du jazz parce qu’on a la possibilité d’être spontané, dans l’instant. Parfois, on peut avoir une expérience de libération comme si on oublie tout ce que l’on a appris. Sur scène, si je pense, je ne joue pas. L’improvisation est un état de conscience où s’ajoute une joie impossible à décrire. Et c’est d’autant plus fort en groupe, comme avec les musiciens avec lesquels je joue qui sont de grands êtres humains. Ça peut devenir une expérience collective.
Le public influence-t-il cette émotion ? Moi, quand je suis spectateur, j’attends que l’artiste me transporte dans son univers. Certes l’énergie du public est irremplaçable, mais la musique n’est pas en lien direct avec la salle. L’improvisation, c’est aussi le risque de… se rater. On ne peut pas contrôler l’inspiration. Elle arrive ou elle n’arrive pas. C’est uniquement du ressenti, dans la joie et l’amour. C’est toujours avec l’autre que l’on découvre ces sentiments-là. Avec les musiciens de
e dimension, on a eu des expériences individuelles et collectives qui n’ont pas de prix. C’est comme quand un oiseau arrive et se pose sur votre épaule…
La salle Garnier contribue-telle à cette inspiration ? C’est une scène fabuleuse, unique dans le monde. C’est tellement spécial, impressionnant! Elle dégage une atmosphère tellement over the top… C’est cool! Mais il faut faire attention de ne pas jouer trop fort.
Vous êtes une figure mondiale du jazz mais vous êtes très associé à la France. Mes deux frères étaient francophiles. Ils voulaient que je compte en français, comme en anglais, dès trois ans. Puis ce fut les films français… Le premier jazzman que j’ai entendu fut Django Reinhardt, Belge et Français. J’ai eu le grand plaisir de jouer une fois avec lui The sentimental mood de Duke Ellington, sur un plateau de télévision.
Avez-vous été marqué par la culture française? Toute ma vie ! Les grands compositeurs comme Ravel, Debussy ou Satie ont créé une base d’harmonie qui est devenue la base de l’harmonie du jazz. Je m’identifie immédiatement à ces grandes figures.
Il faut dire que Ravel, pour ne citer que lui, passait ces nuits dans les boîtes de jazz. La légende dit que Gershwin lui aurait demandé des leçons. Ce que l’on tire, nous, comme leçon de cela, c’est la fusion qui existe depuis le XVIe siècle avec l’influence de l’Italie, de l’Autriche, de l’Allemagne… Dans le jazz, quand on écoute Sketches of Spain de Miles Davis, les influences hispaniques sont tellement fortes. Et que dire du Boléro de Ravel !
Vous-même, vous avez mélangé les styles avec une attirance forte pour les sons indiens. Peut-être parce que je suis un vieux hippy [rires] .Mes contemporains et moimême nous interrogions sur les grandes questions existentielles dans les années . En Inde, les réponses étaient dans la philosophie, la méditation et le yoga (qui se pratiquent sur la planète tout entière et que je pratique moi aussi tous les jours). La musique appartient à cet ensemble dans une recherche vers la lumière, contrairement à l’Occident marqué par une fracture entre la spiritualité et l’art à partir d’un certain moment. Dans la musique indienne, tous les aspects de l’être humain sont intégrés. C’était très important pour moi, comme ce le fut pour John Coltrane. Ce n’est pas une coïncidence s’il a appelé son fils Ravi ! Le grand violoniste et chef d’orchestre américain Yehudi Menuhin pratique également le yoga en permanence. Oui, j’ai la chance de le connaître. Quel amour il a de la musique indienne !
La musique indienne, ce sont aussi des instruments spécifiques. J’ai commencé à l’étudier en . Et bien plus sérieusement à partir de avec la veena. Mais je suis un musicien occidental, j’ai grandi avec la musique classique grâce à ma mère puis, à partir de ans, avec la musique américaine. Je ne voulais pas être un musicien de musique indienne. J’ai donc laissé tomber la veena. Mais j’ai adapté ma guitare pour retrouver un peu les possibilités de l’instrument indien. Les guitaristes sont nombreux à faire des instruments complètement dingues.
Vous vous produisez encore beaucoup sur scène ? Généralement oui. Mais cette année, je suis freiné par une arthrose au poignet droit. C’est normal, c’est l’âge… Mais j’ai un traitement. Je n’ai fait que trois concerts en Inde en février dernier. J’ai déjà une tournée pour . Je croise les doigts mais je suis très optimiste.
Parce que je suis un vieux hippy ”
J’ai eu le grand plaisir de jouer avec Django Reinhardt ”