Monaco-Matin

Laurent Delahousse : « J’ai envie d’autre chose... »

Son portrait-filmé de Jean d’Ormesson, qui sort mercredi au cinéma, a marqué le présentate­ur vedette du journal de France 2 au point de lui faire envisager de changer de vie...

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE DUPUY

Un an, jour pour jour, après le décès de Jean d’Ormesson, le 5 décembre, sort au cinéma un documentai­re sobrement intitulé Monsieur, qui dresse un portrait tendre, poétique et ironique de l’écrivain-académicie­n disparu. Son auteur, qui a filmé Jean d’O dans son intimité, à Paris, en Suisse et en Corse, pendant les deux dernières années de sa vie, n’est pas un inconnu des Français. Il présente les journaux du week-end de France 2 depuis plus de dix ans et anime l’émission Un jour, un destin depuis aussi longtemps. Spécialist­e du portrait et du documentai­re, Monsieur est pourtant son premier film de cinéma. Mais certaineme­nt pas le dernier ! Laurent Delahousse, puisque c’est de lui qu’il s’agit, nous en a parlé avec une telle passion qu’on ne l’imagine pas en rester là. Quitte à délaisser les plateaux de télévision. D’ailleurs, c’est lui qui le dit : « Aujourd’hui, j’ai envie d’autre chose. Monsieur, c’est la première étape.».

Comment avez-vous rencontré Jean d’Ormesson ? Je le connaissai­s depuis une douzaine d’années. Je l’avais reçu à plusieurs reprises au journal et nous avions tissé des liens particulie­rs. Durant ces années, j’ai eu l’occasion de le rencontrer souvent hors des plateaux et nous avions évoqué l’idée de faire un portrait de lui pour le cinéma. Quelque chose de différent des documentai­res que je fais à la télévision, d’atypique… Et puis, comme nous étions tous les deux très occupés, le temps a passé et c’est resté à l’état de projet. Jusqu’à ce qu’il me rappelle, il y a deux ans, pour me dire que c’était le bon moment. J’ai compris tout de suite que ce n’étaient pas des paroles en l’air. C’est lui qui a choisi le moment et il avait de bonnes raisons pour cela.

Cela a changé l’idée que vous vous faisiez du film ? Ça a précipité les choses. J’ai fait beaucoup de documentai­res et de portraits pour la télévision avec un gros travail d’écriture en amont. Là, pressé par le temps, j’étais obligé de me lancer sans trop savoir où on allait. Le fait que ce soit lui qui ait choisi le moment, m’a obligé à me demander ce que je voulais raconter et non ce que lui aurait voulu qu’on raconte. C’est quelqu’un qui a toujours maîtrisé sa communicat­ion avec un fort désir de postérité en tant qu’écrivain. Mais moi, ce qui m’intéressai­t, c’était plutôt l’homme que l’écrivain.

Pourquoi cela? Dans une France très conflictue­lle, où la lutte des classes et la colère sont toujours très présentes, on le

voit bien ces jours-ci, d’Ormesson fait figure d’exception. Aristocrat­e, académicie­n, riche, âgé, appartenan­t à une élite qui fait l’objet d’un dégagisme forcené, il a réussi le tour de force incroyable de fédérer tout le monde autour de sa personnali­té. Je voulais comprendre pourquoi. A titre personnel, je sentais qu’il avait beaucoup à m’apporter. Pour moi qui suis plutôt hyperactif, mélancoliq­ue et parfois pessimiste, il est l’exemple d’une vie apaisée et d’un optimisme permanent. Dans une période très tourmentée et indécise il renvoie un message d’espérance. Ce qu’il nous dit, c’est : n’ayez pas peur.

C’est un peu facile pour quelqu’un qui a eu une vie aussi privilégié­e, non ? C’est vrai qu’il est né avec une cuillère d’argent dans la bouche mais je connais beaucoup de gens privilégié­s qui sont malheureux. Lui, même à la toute fin, rayonnait du bonheur de vivre. Non, mais il était très impatient de le voir. Deux jours avant sa mort, il m’a demandé de passer le voir et j’ai senti qu’il y avait urgence. J’y suis allé et contrairem­ent à son habitude, lui qui était très gazette, il ne m’a pas posé de questions sur l’actualité et les gens que j’avais rencontrés. Il m’a juste demandé où j’en étais du film. Je lui ai montré les cinq premières minutes que j’avais sur mon ordi et ça lui a beaucoup plu. Il m’a serré très fort dans ses bras et j’ai compris que c’était sa manière de me dire adieu.

Vous vous sentez orphelin de lui ? Oui, il me manque beaucoup. Quand l’écume des choses s’agite autour de vous, c’est une grande chance d’avoir un interlocut­eur comme lui. Même à titre profession­nel : qui aura le verbe, l’enthousias­me et le recul pour parler de notre monde au journal comme il le faisait ?

Cette première expérience au cinéma vous conduit-elle à envisager une nouvelle carrière ? C’est vrai qu’aujourd’hui j’ai envie d’autre chose. Le temps qui passe, l’âge, l’expérience font que j’ai parfois l’impression de transmettr­e au journal une vision du monde qui n’est plus la mienne. J’ai envie d’asseoir ma vie sur autre chose que la frénésie de l’actualité. La présentati­on et la rédaction en chef du journal, je ne le ferai pas ad vitam aeternam. J’aime ce métier et ce sera compliqué d’en faire le deuil. Ça va sans doute demander un peu de temps, je le dis pour ceux qui espèrent que j’arrête en janvier (rires). Mais je commence à préparer ma vie d’après. Une vie plus effacée, apaisée. Le documentai­re, c’est mon métier de base. Je passe plus de temps en salles de montage qu’à présenter le journal. Et puis il y a cette envie de cinéma qui me travaille depuis longtemps et que Jean d’Ormesson a alimenté. Je commence d’ailleurs à m’autoriser à parler de faire des films et plus des documentai­res, c’est un signe…

Il est l’exemple d’une vie apaisée. ” Je commence à préparer ma vie d’après ”

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(Photo AFP) A-t-il vu le film terminé ?

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