Essais précoces: encore de l’espoir quand il n’y en a plus
Permettre à des personnes souffrant de cancer d’accéder à des molécules innovantes : c’est l’ambition de l’unité de phase précoce récemment ouverte au centre Antoine Lacassagne
Des patients métastasés en impasse thérapeutique
Unité de phase précoce (UPP). Quatre chambres semblables à n’importe quelle autre chambre d’hôpital. À une exception près: toutes sont équipées de caméras. Quelques mètres plus loin, au niveau du poste de surveillance, des personnels infirmiers, formés aux essais cliniques, ont les yeux braqués sur les images retransmises. Les patients qui occupent ces chambres vivent une expérience singulière : atteints de formes avancées de cancers, ils expérimentent un traitement qui n’a pas (encore) franchi les étapes classiques qui aboutissent (ou non) à la mise sur le marché. Parfois, il s’agit de molécules ayant simplement fait la preuve de leur efficacité chez l’animal, mais qui n’ont jamais encore été testées chez l’homme. Plus souvent, ce sont des molécules dont le profil est bien connu mais qui sont habituellement utilisées dans d’autres maladies.
Analyse personnalisée de la tumeur
Comment ces patients se sont-ils dès lors retrouvés candidats pour «tester» ces médicaments potentiels ? « Tous ont en commun d’être en bon état général, mais de présenter une tumeur solide (cancer ORL, digestif, cancer de la prostate…) ou un lymphome à un stade avancé, et réfractaire aux traitements habituels – ou qui vont le devenir; en d’autres termes, il s’agit de malades que la médecine aujourd’hui ne sait malheureusement pas guérir. Avec leur accord, les oncologues qui suivent ces patients, accueillis dans n’importe quel établissement (public ou privé) en région Paca-Est ou en Corse, nous transmettent leur dossier, et nous évaluons la possibilité de les faire bénéficier d’essais thérapeutiques, après avoir analysé génétiquement leur tumeur», détaille la responsable de l’UPP, le Dr Esma Saada, oncologue. Cette procédure, associée à l’émergence récente des technologies qui permettent d’analyser les gènes du cancer, porte un nom : Réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) moléculaire. Chez les patients en bon état général, les spécialistes vont ainsi chercher la présence d’anomalies génétiques connues, une cinquantaine, décrites dans la littérature scientifique. « Si on en trouve, on se renseigne sur l’existence d’essais cliniques ou précliniques avec des molécules ciblant ces anomalies. » La mise en évidence d’une « faiblesse » génétique au niveau d’un cancer permet ainsi d’envisager de la «neutraliser ».
Ne pas trop attendre
Pour rappel, tous les patients accueillis à l’UPP souffrent de cancers métastasés et ont bénéficié au moins d’une ligne de traitement. « Il est préférable de ne pas trop attendre avant de nous adresser le dossier. Plus un cancer métastatique progresse, plus la probabilité de trouver un traitement efficace est faible. Par ailleurs, il est important que le malade qui participe à un essai clinique présente un bon état général. » Parmi les patients qui en 2 017 ont vu leur dossier adressé au Dr Saada, un tiers s’est vu proposer de participer à un essai de phase précoce. « Environ 20 % ont bénéficié de thérapies ciblant les anomalies génétiques de leurs tumeurs; un tiers d’entre eux sont aujourd’hui en rémission, alors qu’ils étaient en phase palliative », se réjouit le Dr Saada. Si on devait résumer l’intérêt des essais précoces, on dessinerait les sourires de ces malades condamnés à court terme et qui, grâce à l’utilisation de molécules innovantes, continuent de croquer la vie, probablement avec encore plus d’appétit. Le sourire de cet homme atteint par un cancer ORL, en rémission depuis deux ans. Le sourire (Photo DR) de cette femme victime d’un cancer de l’endomètre, dont la maladie est désormais contrôlée. Le sourire d’une fillette azuréenne atteinte par un sarcome, aujourd’hui guérie, après avoir bénéficié d’un essai à Paris. Le sourire d’une jeune maman atteinte d’une tumeur au cerveau. Ce sourire s’est éteint récemment, mais il a pu accompagner sa fille pendant cinq années supplémentaires, alors que son espérance de vie était réduite à quelques mois. Mais le Dr Saada se refuse à tout triomphalisme. « La participation à une phase précoce n’est pas une solution miraculeuse. Il s’agit d’une solution supplémentaire ; il est important d’en informer le patient lorsqu’il signe le consentement éclairé. »