Monaco-Matin

«Le numérique est similaire à l’invention de l’électricit­é»

En charge de la transition numérique en Principaut­é, nous a dévoilés, en marge d’un déplacemen­t au Luxembourg, ce que pourrait bientôt être le quotidien des citoyens

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIBAUT PARAT

À36 ans, le curriculum vitae de Frédéric Genta est long comme le bras. Diplômé de l’ESCP Europe et d’un MBA de la Harvard Business School, il est un ancien des plus grosses entreprise­s de la planète. Amazon, Google, Orange… Depuis mars, il est désormais délégué interminis­tériel en charge de la transition numérique. En déplacemen­t au Luxembourg ces derniers jours [lire notre édition du 7 décembre], il a répondu à nos interrogat­ions sur ce vaste chantier à Monaco.

On entend beaucoup la notion de transition numérique, concrèteme­nt de quoi s’agit-il ? Il s’agit de la plus grande révolution des vingt dernières années et des cinquante prochaines années. C’est l’équivalent de l’invention de l’électricit­é qui a complèteme­nt modifié le monde. On parle de quelque chose qui va toucher tous les systèmes, toutes les personnes. Le numérique va déterminer les gagnants et les perdants du futur parmi les États, les entreprise­s et les individus.

À quel changement doit-on s’attendre à Monaco ? À Monaco, on travaille sur plusieurs niveaux. Les infrastruc­tures techniques, d’abord. Celles-ci doivent être assez solides pour accueillir la transition numérique. Il y a les réseaux et puis le cloud souverain qu’on va dupliquer au Luxembourg. Il y a aussi la plateforme humaine, c’est-à-dire la formation de la population et des fonctionna­ires. En janvier, on ouvrira un e-lab pour former tous les fonctionna­ires et agents. On a posé les bases pour y arriver. Ensuite, sur ces plateforme­s, on a deux types de services à mettre. Ceux liés à l’administra­tion, d’abord. Il ne s’agit pas juste de digitalise­r les processus existants. C’est : comment doit-on se mettre du point de vue de l’usager ? Toute l’administra­tion est tournée vers le service à l’usager, qu’il soit Monégasque, résident ou pendulaire, et doit tout faire pour lui faciliter la vie. En bref, donner ses données une seule fois, avoir accès à ses documents officiels une seule fois. Tout ce que nous a montré le Luxembourg concernant la e-administra­tion (lire ci-contre). Et au-delà de l’administra­tion ? Il y a aussi les services clés qui ne dépendent pas de l’administra­tion : l’éducation. Comment on forme les élèves aux compétence­s des  ans à venir ? Comment on change la pédagogie par le numérique ? Il y a la santé, aussi. Comment rendre le parcours patient, le diagnostic et le traitement meilleur grâce au numérique, des prises de rendezvous à l’intelligen­ce artificiel­le ? Il y a la mobilité, l’environnem­ent. Le champ des possibles est énorme. Enfin, il y a la dernière partie de la pyramide : l’économie. Aujourd’hui, l’économie numérique en Principaut­é représente , % du PIB et  % des emplois. Les questions c’est : comment attirer d’autres entreprise­s ? Comment rajeunir le tissu économique ? Ma mission, c’est vraiment la transforma­tion de l’économie monégasque.

Quelle est la feuille de route ? On communique­ra un document au premier trimestre  expliquant ce qu’on a fait dans l’année. La feuille de route de la Principaut­é sur le numérique est assez simple finalement. Tout d’abord, donner au territoire une meilleure qualité de vie grâce au numérique. Une vie pour les usagers sans frictions, avec plus de services, plus d’informatio­ns. Deuxièmeme­nt, permettre à Monaco d’être encore plus grand et d’avoir plus d’impact sans contrainte­s d’espaces. Le numérique n’est pas dépendant de l’espace. Les start-up ont beaucoup moins d’espace et de main-d’oeuvre.

Depuis votre nomination en mars , avez-vous observé des freins ou des réticences ? Vous l’avez dit, Monaco part de loin et a beaucoup à apprendre. J’ai observé une vraie bienveilla­nce, un vrai engagement de la part du prince Albert II, qui a choisi de créer ce poste, et du Ministre d’État, Serge Telle. On est aujourd’hui quand même  personnes en poste sur le numérique. J’ai senti beaucoup de bonne volonté. Après, il y a une question qui s’est posée. Par où prend-on le problème? Comment change-t-on de culture ? Les gens pensent beaucoup à la technologi­e mais le numérique est souvent un outil qui permet de changer la culture, l’économie, la qualité de vie. L’important est de franchir un palier.

En quoi le Luxembourg, où vous vous êtes rendu, est une référence? Et que peut-il vous apporter ? Le Luxembourg est l’un des pays que l’on considère comme le plus proche de nous. Ils partagent avec nous un système politique proche: le grand-duc et le souverain, un gouverneme­nt. Ils ont fait des choix audacieux en termes de culture, de numérique et de législatio­n. Ils ont mis des principes très forts : on ne donne ses données qu’une seule fois, on n’a pas le droit de reproduire la base de données. C’est toujours le digital en premier et le papier arrive après en complément. C’est une culture intéressan­te. Ils ont cette vision d’être le data center de l’Europe que nous, de facto ,ne pouvons être vu notre manque de place. Avec ce système de eambassade, nous avons la souveraine­té sur nos données basées au Luxembourg avec les garanties du Premier ministre qui dit que c’est comme une ambassade. Il s’est engagé auprès de nous à ce que ce soit respecté. On a beaucoup à apprendre. C’est un pays multicultu­rel où ils ont dû apprendre à s’adapter à des cultures différente­s.

Ce pays devrait bientôt héberger des données sensibles de la Principaut­é. Jusqu’à présent, comment sont-elles protégées ? Elles sont basées à Monaco mais sont très éparpillée­s. Ce sont des données qui sont à la mairie, à l’administra­tion. Certaines parties de l’administra­tion ont leur propre site informatiq­ue : la Sûreté publique, l’Éducation. La vision finale, c’est clairement d’agréger ces données en un seul endroit qui est plus facile à sécuriser que cinquante. Avec le bon niveau de normes, que ces données soient toutes au même format pour ensuite en déduire le guichet unique.

Pouvez-vous nous expliquer le concept d’identité numérique ? Aujourd’hui, le citoyen a une multitude d’identités numériques. Un numéro au CHPG, un autre à la CCSS ou à la SPME, un numéro de carte d’identité etc. Le problème, c’est que ces numéros ne communique­nt pas et du coup c’est très difficile de construire des services dessus. Parce que les systèmes ne sont pas interdépen­dants et tout est « siloisé ». Une des façons de briser les silos, c’est d’avoir une expérience centrée sur l’usager. Ce dernier se moque royalement de savoir que c’est un départemen­t plutôt que l’autre. Ce que lui (ou elle) veut, c’est un service de qualité. Notre tambouille administra­tive n’est pas son sujet. L’idée est de créer une seule identité numérique pour chaque citoyen.

Le champ des possibilit­és est énorme ’’ Transforme­r l’économie monégasque ’’

N’est-ce pas plus dangereux, d’un point de vue cyberattaq­ues, d’avoir tous ses documents dans un guichet unique ? C’est mieux au contraire !  % du hacking se fait par l’intérieur, en interne. Toutes les histoires récentes en attestent. Le vrai premier sujet à traiter, avant de penser à la Corée du Nord, c’est que les gens soient formés aux bonnes procédures de mise en sécurisati­on. On a un vrai boulot culturel à faire. On travaille en équipe avec l’Agence Monégasque de Sécurité Numérique qui a mis aujourd’hui des normes encore plus fortes que la France. Quand on finira ce projet, les données seront encore plus sûres qu’aujourd’hui. Après, le risque zéro n’existe pas. Il peut y avoir un tremblemen­t de terre demain.

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Frédéric Genta, en charge de la transition numérique.

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