JUSQU’EN ITALIE
Reportage auprès des «gilets jaunes», partis de Nice, qui ont manifesté hier à la frontière italienne après avoir tenté, en vain, de rejoindre des manifestants transalpins et mentonnais
Partis de l’Allianz Riviera, des « gilets jaunes » se sont rendus jusqu’à la frontière où ils ont filtré la circulation. D’autres opérations ont eu lieu dans le département. À Paris, de nombreuses interpellations ont permis d’éviter le pire.
Le réchaud à gaz est récalcitrant. Il finit quand même par accepter de délivrer une flamme. Les saucisses sont de sortie, une bouteille de pastis émerge d’un top-case. Ca hurle «Macron démission» sur fond de concert de klaxons. Cette scène ne se déroule pas dans un champ, mais en plein milieu de l’autoroute A8, sens France-Italie. À une centaine de mètres du péage de Vintimille. Un énorme convoi de «gilets jaunes» s’était ébranlé vers 10 h 45 hier depuis le stade de l’Allianz Riviera à Nice. Près de 400 motos et voitures se sont engagées sur l’A8. La semaine dernière, les manifestants avaient bloqué l’aéroport. «Là, on va rejoindre des “gilets jaunes” italiens et nos copains qui manifestent à Menton», explique Edwin, un des organisateurs. Des “gilets jaunes” italiens, on ne verra pas le début de la première bande réfléchissante. Le convoi français n’a en effet jamais franchi la frontière. Il a juste vu du bleu : des gendarmes massés au péage de La Turbie. Les militaires ont été copieusement klaxonnés par les manifestants franchissant les barrières levées, sans payer. Les Mentonnais, eux, ont manifesté de leur côté (lire par ailleurs). La jonction n’aura pas lieu non plus. Le cortège s’est donc finalement tanké là, à Vintimille, au soleil. Au nez de carabiniers italiens légèrement médusés et un peu pris de cours.
«Je ne lâcherai pas»
Dans l’odeur des saucisses qui cuisent trop doucement - le réchaud fait encore des siennes - Céline, la trentaine, va et vient. Elle est sapeurpompier de la Fédération autonome. Une cinquantaine de ses collègues se sont joints au mouvement dans la matinée. Mais ils n’ont pas opté pour l’option italienne, préférant s’installer au péage de SaintIsidore. Céline, elle, a suivi le mouvement jusqu’en Italie. Déterminée. Pour l’acte V, VI, VII, VIII s’il le faut. « Je ne peux plus supporter que des personnes âgées meurent dans la rue. Je ne peux plus supporter toute cette injustice sociale. Je suis là depuis le début et je ne lâcherai pas.» Céline nous raconte ce que beaucoup disent avoir découvert chez les «gilets jaunes» : la solidarité. «C’est une population merveilleuse. Avec ce mouvement, on fait tomber les barrières que les Etats, que les politiques, avaient dressées entre nous.» Dans les rangs des manifestants, toutes les revendications affleurent. Certaines réalistes, d’autres utopistes : une nouvelle constitution, le retour de l’ISF, un «gilet jaune» président, une retraite à 1200 euros minimum, le relèvement des minimas sociaux, la baisse de la CSG. Vers midi, l’un des meneurs prévient la troupe que les autorités italiennes menacent de charger. Les «gilets jaunes» filtrent en effet des deux côtés de l’autoroute, provoquant un énorme bouchon. Un concert de klaxons de soutien accueille pourtant leur action. La perspective d’une garde à vue chez les carabiniers ne semble enchanter personne. Ils en préféreraient presque les CRS français. «Laissez-nous finir de manger, et on s’en va.» Les carabiniers acceptent. Marie, la soixantaine, observe et filme la scène au smartphone. «Macron nous méprise. J’espère qu’il tombera. Je suis retraitée, avec 1400 euros par mois. Je ne me plains pas, même si c’est dur. Je manifeste pour ces gens qui n’ont rien. Ce gouvernement nous considère comme des moins que rien.» Sur l’A8, l’atmosphère est à la rigolade, bien plus détendue que la semaine précédente. On frôlera toutefois l’incident frontalier quand les «gilets jaunes» lanceront «Bella ciao» sur leur sono. Un chant italien, certes. Mais il s’agissait là (sic) de la version interprétée par Maître Gims. On a déclenché des guerres pour moins que ça... Les policiers transalpins devront aussi supporter une chenille endiablée lancée par les «gilets jaunes». Sous cette pression bon enfant, un carabinier finira par accepter deux roses ... jaunes, tendues par une manifestante. Après avoir filtré l’accès au péage de La Turbie, et offert la gratuité, les «gilets jaunes» se disperseront dans le calme. Parés pour l’acte V.