Le syndrome de stress posttraumatique est-il culturel ? Psy
L’étude de ce phénomène, d’un point de vue anthropologique cette fois, est fascinante puisqu’elle révèle la dimension culturelle. Illustration avec les Tibétains
Et si la souffrance, ou plutôt les émotions qu’elle engendre, n’était pas universelle ? Et si l’expression du stress post-traumatique, voire son existence, variait d’une culture à l’autre ? Voilà la problématique qu’a abordée Arnaud Halloy, professeur d’anthropologie, lors d’une conférence animée dans le cadre du séminaire clinique « après le traumatisme » organisé tout au long de l’année par le CHU de Nice et l’Université NCA (1). Peut-on envisager la résilience à l’échelle d’une population ? Quels mécanismes sont à l’oeuvre pour favoriser la résilience ? Ces questions trouvent un écho particulier à Nice où des centaines de personnes souffrent toujours après l’attentat du 14-Juillet.
Mais d’abord de quoi parle-t-on ? Le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) doit être entendu dans une perspective médicale. Il concerne une personne qui a été confrontée à la mort, à une menace de mort, à des blessures graves ou à des violences sexuelles (elle-même ou qu’elle en ait été témoin). Suite à cela, elle présente des symptômes dit d’intrusion associés à un ou plusieurs événements traumatisants type rêves récurrents, détresse psychologique, etc. Les perturbations dont elle souffre peuvent être accompagnées de symptômes dissociatifs (dépersonnalisation, déréalisation…).
Socialement construit
D’un point de vue anthropologique, le syndrome de stress posttraumatique est socialement construit. « Attention, cela ne signifie pas qu’il n’existe pas ou qu’il relèverait d’une illusion collective, souligne Arnaud Halloy. Seulement, il est le produit d’une mobilisation de nombreux acteurs ainsi que des soubassements cognitifs et moraux de nos sociétés. » Pour résumer, plusieurs enquêtes ethnographiques ont mis en évidence l’influence de l’environnement culturel sur le développement du stress post-traumatique. « Le philosophe et épistémologue Ian Hacking parle ainsi de looping process : l’individu tend à ajuster son comportement (de façon implicite) de manière à correspondre à une catégorie culturellement construite. En somme “soi” est largement construit par “autrui” », indique Arnaud Halloy. Ce dernier a longuement exposé les conclusions d’une étude menée par une anthropologue américaine, Sara Lewis, à Dharamasala, où se sont réfugiés des milliers de Tibétains, parmi lesquels de nombreux moines et nonnes bouddhistes ayant fait l’objet de persécution, enfermements et/ou tortures par les Chinois. Le premier constat a été qu’il n’y a pas d’équivalent lexical à la notion de stress post-traumatique. Est-ce que cela peut signifier qu’il n’existe pas ? « La question de son étude a été celle-ci : le trauma est-il un résultat naturel à la violence politique ? Chez ces Tibétains, Sarah Lewis a remarqué plusieurs choses. D’abord, lorsque les réfugiés témoignent des violences subies, c’est uniquement comme un geste politique à destination des populations étrangères. C’est uniquement pour dire ce qu’il s’est passé. En dehors de cela, ils n’en parlent pas. Ensuite, plus étonnant, ils ne se considèrent pas comme des malades ou des victimes et ne veulent surtout pas être plaints. »
Compassion
Selon l’anthropologue, les choses s’expliquent si l’on observe les principes de vie de cette population. À Ils se basent sur des notions telles que le lâcher-prise émotionnel (une espèce de capacité à transformer la relation à la souffrance). « La souffrance est par ailleurs vécue comme inhérente au cycle des renaissances et comme une opportunité pour progresser en tant qu’acte de purification ou de révélation ». Autre principe : la compassion est vue comme une « technologie » dans le sens de la compréhension et de l’application d’un certain nombre de savoirs. Par exemple, l’emprisonnement est perçu comme une occasion de méditer et de s’élever en souhaitant le bonheur aux êtres en souffrance, y compris à leurs bourreaux qu’ils incluent dans leur chaîne compassionnelle. « Le dernier principe est le lonjong ou “entraînement de l’esprit”, indique Arnaud Halloy. Les Tibétains cultivent ainsi une flexibilité de l’esprit, ils s’accommodent du changement. Cela ne signifie pas que les événements difficiles sont niés mais plutôt qu’ils sont interprétés à l’échelle du cycle des naissances et renaissances. Ils déconstruisent l’utilité et la légitimité des émotions négatives. La compassion et l’empathie sont des devoirs de citoyenneté. » Cette approche de la vie semble particulièrement intéressante, pour autant, en serions-nous capables ? Cela impliquerait de déconstruire totalement nos modes de pensée, nous qui vivons dans une société relativement individualiste et autocentrée. Mais peut-être cette philosophie de vie peut-elle inspirer. AUX PORTES DU MERCANTOUR