L’intelligence artificielle en santé, une aubaine ?
L’intelligence artificielle et la robotisation en santé sont-elles une aubaine ou une menace ? Exemples à l’appui, trois spécialistes des maladies digestives se disent optimistes
« On restera maître du geste thérapeutique »
Selon le Docteur Geoffroy Vanbiervliet, gastro-entérologue et hépatologue au CHU de Nice, cela ne fait aucun doute : « Les nouvelles technologies et surtout l’intrusion de l’intelligence artificielle (IA), avec le “deep learning” (1), vont bouleverser la médecine et le diagnostic en particulier. » Le spécialiste prend
(2) l’exemple de l’endoscopie digestive, un domaine regroupant les procédures permettant de visualiser l’intérieur de l’oesophage, de l’estomac, du duodénum ou encore du côlon. « L’oeil humain est assez “grossier” lorsqu’il s’agit de repérer des polypes, surtout de petite taille, et sans relief. La machine, en ayant travaillé au préalable sur des milliers d’images, est bien plus performante, les études l’ont clairement montré. Elle augmente la capacité de détection des tumeurs superficielles et améliore aussi leur caractérisation. » Un atout pour le patient, sachant le risque d’évolution dans le temps de ces lésions. Loin d’envisager l’intelligence artificielle comme une rivale, le Dr Vanbiervliet se réjouit ainsi des bénéfices attendus pour le patient. « Les cancers dits d’intervalle [qui se développent entre deux examens de contrôle par endoscopie, Ndlr] aujourd’hui nous interrogent. Pourquoi ne les détecte-t-on pas ? Grâce à l’intelligence artificielle, on devrait améliorer le diagnostic et réduire ainsi sensiblement le risque d’apparition de ces cancers. » Quid de la place du médecin dans ce nouvel univers gouverné par l’intelligence artificielle ? «Ellevamodifier nos pratiques, admet le médecin. Il est probable qu’on ne sera plus au premier plan pour ce qui concerne le dépistage et le diagnostic. Mais on restera maître du geste thérapeutique ; c’est notre expertise qui nous permettra de décider si une lésion doit ou pas être enlevée. » Une conjugaison au futur qui devrait céder rapidement la
place au présent puisque « d’ici peu de temps, 2 ou 3 ans maximum, notre bassin de population devrait pouvoir accéder à ce dépistage très performant », assure le spécialiste.
La maladie du foie gras
Autre pathologie pouvant bénéficier de l’IA : « le foie gras », une maladie hépatique associée à l’obésité et produite par l’accumulation de graisse dans le foie. Bénigne chez 80 % des patients, elle peut devenir grave si elle est négligée ; la surcharge en graisses peut en effet créer une inflammation au niveau du foie (NASH ou stéatohépatite non-alcoolique), des lésions de l’organe (foie fibreux), jusqu’à la cirrhose (sans consommer d’alcool). Avant ces stades ultimes, la maladie progresse à pas de loup, sans se signaler. Et il n’existe
pas à ce jour de tests non invasifs, simples, fiables et faciles d’accès pour différencier le foie gras bénin de la NASH avec altération du foie débutante. « L’examen échographique nous permet de mettre en évidence un “foie gras”, mais pas une NASH, susceptible d’évoluer et nécessitant donc un traitement » ,relate le Pr Rodolphe Anty, hépatologue au CHU de Nice et expert de cette pathologie. Comment repérer dès lors les patients à risque de développer une maladie grave ? Pour répondre à cette question, une seule option : la biopsie hépatique seule capable de mettre en évidence une fibrose. « Il n’est pas envisageable de réaliser cet examen invasif chez tous les patients susceptibles de faire une maladie grave », signale le spécialiste. Et c’est là que l’intelligence artificielle entre en scène. « En combinant l’imagerie et la biologie, avec la mesure d’un certain nombre de paramètres dans le sang, des tests non invasifs ont été
développés, qui fournissent des indications sur l’état du foie. Ils bénéficient déjà aux patients souffrant d’hépatite, mais doivent encore être affinés et mieux évalués pour la NASH. ». Le Pr Anty se réjouit qu’à terme, ces tests permettront d’améliorer le dépistage et le diagnostic précoce d’une maladie susceptible de s’aggraver. « L’algorithme pourra analyser à un temps donné le profil métabolique du patient et alerter sur les risques, notamment de complications cardiovasculaires. » Ces tests devraient également accompagner le développement actuel de thérapeutiques personnalisées.
Pour profiler le microbiote
« Nous sommes tous des holobiontes ; nous vivons accompagnés de
(3) tous les organismes qui nous composent ». Référence au désormais célèbre microbiote, dont le Pr Thierry Piche, gastro-entérologue et président de la CME du CHU de Nice, souhaite rappeler l’importance. « On sait aujourd’hui que les relations que nous entretenons avec ces organismes sont déterminantes pour notre santé. » Un certain nombre de situations pathologiques, comme des maladies hépatiques mais aussi des troubles psychiques tels que la dépression, seraient ainsi influencées par le microbiote. La grande difficulté réside aujourd’hui dans son analyse. « Le tube digestif abrite quelque 100 000 milliards de bactéries, le séquençage en laboratoire est encore laborieux, long… Dans ce contexte, l’intelligence artificielle représente un outil très intéressant pour l’analyse des populations bactériennes qui nous composent et surtout la caractérisation des “profils” associés à ces maladies », note le Pr Piche. Avec, à la clé, des thérapeutiques personnalisées à base de probiotiques. « L’intelligence artificielle est une belle avancée, mais qu’il faut encadrer, concluent d’une seule et même voix les trois spécialistes. Elle permet de combler des failles, notamment au niveau dépistage et diagnostic, alors que nous avons de plus en plus de connaissances à acquérir… Mais surtout, elle va nous permettre à nous, médecins, de nous recentrer sur la prise de décision, et avant tout de dégager du temps médical au bénéfice du patient. »