LE BONHEUR, C’EST OÙ, QUAND ET POUR QUI ?
Le Baromètre des territoires établi par l’Institut Montaigne et Elabe, témoigne d’un pays fissuré par les fractures sociales, davantage que territoriales. Et plutôt heureux, malgré tout
Ils s’inquiètent pour l’avenir du pays mais à titre personnel, ils s’estiment heureux. Comment est-ce possible ?
Les 10 000 Français interrogés par l’institut Montaigne et Elabe en partenariat avec Nice-Matin s’en expliquent. Ils racontent, de Nice à Toulon, à quoi leur vie ressemble.
Une France, sinon coupée en deux, du moins pétrie de contradictions et souvent tiraillée entre bonheur privé et souffrance sociale. Telle est, grosso modo, la conclusion du Baromètre des territoires réalisé par l’Institut Montaigne et le cabinet Elabe, en partenariat avec la presse quotidienne régionale et France Info (1). Ce travail croise des données d’ordre privé, social et territorial, pour tenter de restituer l’humeur d’un pays bousculé par des mutations agressives. Difficile de tirer des enseignements définitifs de cette plongée dans une France qui tire à hue et à dia, jamais avare de récriminations, tout en ayant conscience qu’il y fait néanmoins plutôt bon vivre. Le constat initial est d’ailleurs rassurant : 73 % des Français se déclarent heureux (33 % très heureux) et 61 % ont le sentiment d’avoir choisi la vie qu’ils mènent. 66 % trouvent, en outre, l’existence agréable dans leur quartier.
Une société « injuste »
Ces satisfactions d’ordre personnel sont toutefois percutées par la crise : 78 % des sondés jugent la société actuelle injuste, 63 % estimant que la réussite sociale est jouée d’avance. Une constante, partout : les Français sont d’abord sensibles aux inégalités salariales, à 37 %, plus qu’à celles entre les territoires (6 %).
La fracture la plus évidente se lit, sans surprise, à l’aune du pouvoir d’achat : 48 % des personnes interrogées déclarent vivre des fins de mois difficiles. Parmi elles, 37 % disent avoir été à découvert à plusieurs reprises ces douze derniers mois et 50 % avoir retardé ou carrément renoncé à des soins.
Il en résulte que seuls 47 % des Français sont optimistes pour leur avenir personnel. Plus terrible, 15 % à peine pensent que leurs enfants vivront mieux qu’eux. 70 % sont globalement pessimistes sur l’avenir de la société française, ce qui n’empêche pas 73 % d’être attachés à la France (58 % à leur région, 34 % à l’Union européenne). Dans la filiation des « gilets jaunes », 34 % considèrent certes qu’impôts et taxes sont inutiles, mais 81 % assurent être disposés à en payer plus « si cela peut contribuer à réduire la pauvreté, améliorer les systèmes d’éducation et de santé ou restreindre la pollution ».
Quatre trajectoires types
Les auteurs du Baromètre, mus par un souci de classification, distinguent au final quatre types de trajectoires sociales : 21 % de Français affranchis des contraintes territoriales et sociales ; 22 % qui ont fait le choix d’un enracinement dans leur territoire ; 25 % qui y sont bloqués géographiquement et socialement et en subissent les inégalités de plein fouet ; 32 %, enfin, qualifiés de Français sur le fil, qui vivent une « forte tension entre leur aspiration à la mobilité sociale et une difficulté à s’affranchir de leur situation socio-économique ». Conclusion de Bernard Sananès, président d’Elabe : « Dans le regard porté sur la société et l’évolution de son propre parcours de vie, le pouvoir d’achat et le capital socioculturel des individus sont des déterminants plus puissants que les caractéristiques objectives des territoires. Ainsi apparaît l’image d’une France en morceaux, qui exprime pourtant un commun attachement au pays et l’envie d’un destin partagé. »