Monaco-Matin

L’opéra, la vie, son père... : Julie Depardieu dit tout

La comédienne partage avec Daniel Benoin l’affiche de Jeanne au bûcher ,les29et30m­arsà l’Opéra de Nice. Honegger et Claudel au programme, Gérard et Philippe Katerine en filigrane

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

On le lui avait proposé en 2008, elle avait jugé l’aventure prématurée. Dix ans plus tard, à l’invitation de Daniel Benoin, Julie Depardieu se glisse dans les oripeaux de Jeanne au bûcher, le temps d’un oratorio mystique à l’Opéra de Nice. La voici récitante, parmi trois cents choristes, au tempo de l’orchestre symphoniqu­e.

L’occasion d’évoquer son parcours et ses peurs, la maturité, son inclinatio­n pour la grande musique et son emploi sur le petit écran où elle reprend une partition au scalpel, celle du médecin légiste Alexandra Ehle. Sans oublier sa passion pour les hommes de sa vie : ses enfants, son compagnon et son père, un monument.

Récitante : une première ?

Sur Jeanne, oui. On m’avait déjà proposé cet exercice il y a très longtemps et je n’étais pas sentie prête. Je n’aime pas dire oui pour dire oui. Et j’adore quand je ne comprends pas tout, tout de suite. Mais là, je dois dire qu’entre le texte de Paul Claudel et la musique d’Arthur Honegger… J’ai l’honnêteté de dire que j’étais un peu fermée. Par exemple, il m’a fallu des années pour apprécier Pelléas et Mélisande. J’étais hermétique, c’est fini. Et quand on s’ouvre, c’est un Graal. Une victoire. Jeanne au bûcher, j’ai senti que le moment était venu. Avant, ça me faisait flipper. Aujourd’hui, je veux essayer de bien faire.

C’est l’histoire du procès ?

L’histoire du procès et de Frère Dominique, qui traduit à Jeanne d’Arc ce qu’il est en train de se passer. C’est très beau. J’y vois toute la force de l’écriture de Claudel. La vérité. Aucune fioriture. Quelque chose d’essentiel.

 choristes, l’orchestre symphoniqu­e : même pas peur ?

S’il y a bien une chose dont je n’ai pas peur, c’est de la musique. Heureuseme­nt qu’elle est mon amie car j’ai peur du silence. En ce moment, je tourne à Bordeaux et je suis branchée sur Radio classique. J’adore l’idée que l’on choisisse pour moi. À une époque, j’écoutais Roberto Alagna toute la journée. Je suis assez obsessionn­elle et pour moi, il est une idole. Roberto ? Aucun défaut !

Il semble même que vous n’aimiez rien, excepté l’opéra…

C’est vrai. Vous ne me verrez dans aucun autre concert. Si, quand même : un concert de mon mec. Mais au début, même lui, je ne le comprenais pas. J’ai plutôt accès à des choses qui ont cent, deux cents ans. Mon idéal de vie étant d’avoir plein d’argent et d’aller tout le temps à l’opéra, partout. Évidemment, ce n’est pas ce que je fais.

Honegger n’est pas le plus

accessible.

C’est vrai, mais pareil pour Anton Bruckner. Je n’y comprenais rien. Jusqu’à ce que je l’entende à Salzbourg, par Riccardo Mutti. Là, c’est la grâce de Dieu qui arrive !

Seriez-vous mystique ?

En tout cas, je crois en Dieu quand il y a de la musique. Ah, oui ! Même dans une sonate que j’ai entendue   fois, il y a toujours des moments divins.

N’avez-vous pas mis en scène les Contes d’Hoffmann ?

C’était en . Je n’étais pas toute seule à la mise en scène, et pourtant je me réveillais la nuit parce que je faisais des cauchemars. Quand je joue la comédie, ce n’est jamais tellement de ma faute, que je sois bien ou pas bien : c’est un travail de groupe. Tandis qu’avec Offenbach, j’avais peur de le faire se retourner dans sa tombe. Au moindre problème, je pleurais sous les gradins. Je prenais des notes tout le temps. Je suis hyper investie. Presque trop. Je suis née insécure. Avec les gosses, je sais dire non. Mais pour la musique, j’ai toujours peur d’être à côté.

Vous avez partagé la vie d’un violoniste avant de fonder une famille avec Philippe Katerine. Les antipodes vous attirent ?

C’est dingue, hein ? D’ailleurs, en ce moment Philippe écoute du rap. Et moi, je n’aime pas l’agressivit­é. Je n’aime pas qu’on m’assène des paroles comme ça, je n’ai pas envie qu’on m’engueule. Mais je dois dire aussi que Gérard, mon géniteur, est un immense récitant. Et dans toutes les langues. C’est fou ! Je l’ai vu dans OEdipius rex ,de Stravinsky, à Saint-Pétersbour­g, ou dans une autre pièce en russe, tout en phonétique, eh bien toute la salle comprenait. Avez-vous vu votre père dans son spectacle sur Barbara ?

Ah oui, c’est grand. Il a une chose avec la musique qui ne s’explique pas. Disons que c’est un être musical.

On ressent chez lui une sorte de fragilité, malgré tout…

Malgré tout, oui. Il y a beaucoup de « malgré tout » avec lui. Mais quand il s’agit de musique, quelque chose se produit, de l’ordre de l’évidence.

Fragile et impression­nant ?

Ouais, il est impression­nant. Il a une force qui le fait tourner dans tous les sens. Quand on est à côté, des fois, c’est chiant ! (rires). Là, je trouve qu’il va plutôt pas mal. Mais on l’a vu dans tous les états. C’est quelqu’un qui vit sans frein. Il a en lui une vraie démesure. Je ne suis pas sûre qu’il ait une grande harmonie tous les jours, en même temps il se coltine à lui-même. Tout en se fuyant un peu, comme nous tous.

N’a-t-il pas cela en commun avec Philippe Katerine ?

Gérard adore Philippe ! Il vient tout le temps chez nous, pour lui. On voit souvent Philippe comme quelqu’un d’excessif, ce que je peux être moi-même, alors qu’en réalité, il attire les gens. Il « sait », il « sent ». C’est très rassurant. On peut vraiment s’appuyer sur lui. C’est marrant, non ? Sincèremen­t, je l’admire beaucoup. Quand il reçoit un César (NDR : celui du second rôle pour Thierry, dans Le Grand bain), le discours est immense. Il remercie son personnage et tout le monde se dit qu’en fait, il a raison, on est tous Thierry. Oui, Philippe a la grâce. Alors qu’au début, quand je l’ai rencontré, je me disais : oh là là, ça ne marchera jamais, entre nous !

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Je crois en Dieu quand il y a de la musique”

‘‘

Gérard vit sans frein. Une vraie démesure.”

Je rentrais de Bayreuth et je n’arrêtais pas de lui parler de Wagner. Il devait se dire que j’étais folle. Dix ans plus tard, nous y sommes encore.

Philippe Katerine « sent » les gens. Comme Gérard ?

Oui, il a de grandes intuitions. Je l’écoute énormément. Des fois, je me fais penser à un truc qui flotte sur l’eau, qui dérive, qui se laisse porter en suivant les courants. Lui, il a une ancre. Tout en s’évadant de temps en temps, une sûreté de vision.

Sous un air fantasque, vous dites former un couple très normal.

Hypernorma­l, je vous jure. On s’autorise un peu de fantaisie, peut-être, mais rien de plus. Philippe est très audacieux. Mais pas difficile à vivre. Je le suis davantage, je pense. J’ai des affres. Parfois, ça ne va pas du tout et parfois, on ne sait pas pourquoi, ça va très bien. J’ai davantage d’humeurs… Bon, je suis une fille.

Vous tournez à Bordeaux. Alexandra Ehle ?

Oui, j’ai d’ailleurs une autopsie à faire ! Médecin légiste, j’aime bien. J’ai eu du mal au départ : je suis trouillard­e. Et comme je ne regarde aucune série, qui va croire que je puisse être médecin ? Mais j’en suis au quatrième film, j’ai mes aises. Pas trop, en vrai. Pour moi, le doute est constructi­f. Je me prends la tête sur des conneries. Je suis comme ça, il faut faire avec. Je me subis ! Honegger. Vendredi 29 mars à 20 h, samedi 30 à 16 h. Opéra de Nice, de 5 à 30.

Rens. 04.92.17.40.79.

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(Photo MaxPPP)

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