Monaco-Matin

Changement climatique: et si on était dans le déni ? Psycho

On a beau savoir que le monde va mal, on a du mal à en tirer les leçons. Et si tout cela s’expliquait par un mécanisme de protection que l’on met en place pour s’éviter l’angoisse

- AXELLE TRUQUET atruquet@nicematin.fr

Les températur­es augmentent, les catastroph­es naturelles s’enchaînent, le trou dans la couche d’ozone s’agrandit. Des preuves, il y en a des tas. Pourtant, force est de constater que nous avons globalemen­t tous du mal à mesurer les effets du changement climatique. Si nous étions logiques, nous adapterion­s nos comporteme­nts afin d’éviter d’aller droit dans le mur. Nous cesserions de consommer en masse, de puiser dans les ressources naturelles sans compenser notre impact. Et pourtant... Et si finalement, il y avait une explicatio­n rationnell­e à nos comporteme­nts ? Le psychiatre Martin Jaubert a animé une conférence sur cette thématique à l’occasion de la semaine du cerveau. L’auditoire était composé de personnes plutôt âgées (on était en pleine journée en semaine), majoritair­ement féminines et ouvertes au débat, curieuses d’écouter ce que le médecin avait à raconter. La précision est importante puisque le profession­nel ne s’adressait pas à des militants écolos convaincus. Mais finalement, en une heure, il est parvenu à faire prendre conscience du problème à la majorité de l’assemblée.

Angoisse de mort

Le problème de base justement, c’est le réchauffem­ent climatique. Après un bref exposé des preuves, place au constat, implacable. «Le réchauffem­ent climatique existe, il impacte significat­ivement la vie sur terre, il est d’origine humaine et lié à notre modèle de société. [...] Pourtant... pourquoi n’arrive-t-on pas à répondre intelligem­ment à ces faits ? Il s’agit là de phénomènes de déni et de dissonance cognitive que nous mettons en place pour nous protéger de l’angoisse.» Et le Dr Jaubert de rapporter les travaux d’un psychologu­e norvégien, Per Espen Stoknes, qui a relevé cinq barrières nous empêchant de prendre conscience du problème. « D’abord, la distance : lorsqu’une catastroph­e arrive à l’autre bout du monde, on a du mal à se sentir concerné. Ensuite, le refus de la représenta­tion de la fin : cela renvoie à notre propre fragilité, à notre mort future; de ce fait, on rejette toutes les représenta­tions qui pourraient nous amener à songer à cette fin inéluctabl­e mais angoissant­e. Il y a aussi le déni et la dissonance cognitive : on préfère les mensonges rassurants que la vérité qui dérange.» En somme, on sait que la pollution est néfaste, pourtant on continue à produire des déchets qu’on ne trie pas toujours en se persuadant qu’on ne peut pas, par exemple, se passer de sacs plastique. Ou encore on se dit que de toute façon notre voisin a une grosse voiture qui pollue plus que la nôtre donc finalement, on n’est pas si mauvais que ça. Nos actions sont en contradict­ion avec nos connaissan­ces parce que c’est plus facile comme ça. Par ailleurs, nous sommes en quelque sorte perturbés par... le plaisir. « Le cerveau sécrète de la dopamine, l’hormone du plaisir, lorsque les besoins primitifs sont satisfaits. Notre priorité c’est donc “ici et maintenant”, on ne se projette pas sur le long terme», explique le psychiatre niçois.

Dernier écueil, notre identité. « Nous avons été élevés, dans les sociétés occidental­es, avec l’idée de croissance infinie. Ce sont nos propres valeurs qui font obstacle à notre capacité à changer radicaleme­nt nos comporteme­nts, souligne le Dr Jaubert. On espère passer entre les gouttes et on préfère ne pas penser au fait que notre facon de vivre à l’heure actuelle précipite la disparitio­n de ce que nous chérissons par ailleurs : la planète.»

Changer de perception

Mais le psychiatre a tout de même de bonnes nouvelles. Il est possible, en travaillan­t sur soi finalement, de sortir de ces paradoxes. « D’abord, il faut abolir la distance que l’on a avec les événements et améliorer notre perception des choses. On doit donc changer d’instrument­s de mesure, par exemple en prenant en compte l’indice de développem­ent humain et pas seulement le PIB. Il s’agit aussi de visualiser les conséquenc­es de nos actes, positives comme négatives, réaliser que tout ce que l’on fait a un impact.»

Le psychiatre prône également un rapprochem­ent entre les hommes. « En tissant du lien social, en dialoguant avec son voisin, on peut s’inscrire dans un cercle vertueux, réfléchir aux actions que l’on peut mener ensemble.» Il ajoute : «Il faut associer la prise de conscience à des émotions positives, en somme, on cherche des bénéfices immédiats. Par exemple, je consomme moins de viande, donc je fais des économies ; on organise une journée de nettoyage dans un parc, on termine par un pique-nique dans la bonne humeur. C’est sympa, on partage un bon moment et accessoire­ment c’est bon pour la planète.»

Autre manière de lutter contre le déni, «reconnecte­r la tête et le coeur en étant à l’écoute de ses émotions, être attentif à ce qu’il se passe ici et maintenant. C’est le principe de base de la méditation : si on est bien centré, on fait attention à tout ce qu’il se passe. Enfin, il faut s’efforcer de construire de nouveaux imaginaire­s, de nouveaux récits : ça peut être joyeux et sympathiqu­e.» Pour conclure, le déni et la dissonance cognitive s’expliquent par un mécanisme de protection que nous mettons en place pour lutter contre l’angoisse de fin du monde. Sauf qu’ils ne sont pas du tout adaptés à l’urgence de la situation. Mais le psychiatre se veut optimiste : « Nous avons les moyens de réagir. C’est un peu tard mais c’est maintenant ou jamais.»

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Si on a du mal à prendre la mesure du réchauffem­ent climatique, c’est notamment parce qu’on met en place un processus psychologi­que pour nous protéger de l’angoisse qu’il véhicule. (Photo F.B.)

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