Changement climatique: et si on était dans le déni ? Psycho
On a beau savoir que le monde va mal, on a du mal à en tirer les leçons. Et si tout cela s’expliquait par un mécanisme de protection que l’on met en place pour s’éviter l’angoisse
Les températures augmentent, les catastrophes naturelles s’enchaînent, le trou dans la couche d’ozone s’agrandit. Des preuves, il y en a des tas. Pourtant, force est de constater que nous avons globalement tous du mal à mesurer les effets du changement climatique. Si nous étions logiques, nous adapterions nos comportements afin d’éviter d’aller droit dans le mur. Nous cesserions de consommer en masse, de puiser dans les ressources naturelles sans compenser notre impact. Et pourtant... Et si finalement, il y avait une explication rationnelle à nos comportements ? Le psychiatre Martin Jaubert a animé une conférence sur cette thématique à l’occasion de la semaine du cerveau. L’auditoire était composé de personnes plutôt âgées (on était en pleine journée en semaine), majoritairement féminines et ouvertes au débat, curieuses d’écouter ce que le médecin avait à raconter. La précision est importante puisque le professionnel ne s’adressait pas à des militants écolos convaincus. Mais finalement, en une heure, il est parvenu à faire prendre conscience du problème à la majorité de l’assemblée.
Angoisse de mort
Le problème de base justement, c’est le réchauffement climatique. Après un bref exposé des preuves, place au constat, implacable. «Le réchauffement climatique existe, il impacte significativement la vie sur terre, il est d’origine humaine et lié à notre modèle de société. [...] Pourtant... pourquoi n’arrive-t-on pas à répondre intelligemment à ces faits ? Il s’agit là de phénomènes de déni et de dissonance cognitive que nous mettons en place pour nous protéger de l’angoisse.» Et le Dr Jaubert de rapporter les travaux d’un psychologue norvégien, Per Espen Stoknes, qui a relevé cinq barrières nous empêchant de prendre conscience du problème. « D’abord, la distance : lorsqu’une catastrophe arrive à l’autre bout du monde, on a du mal à se sentir concerné. Ensuite, le refus de la représentation de la fin : cela renvoie à notre propre fragilité, à notre mort future; de ce fait, on rejette toutes les représentations qui pourraient nous amener à songer à cette fin inéluctable mais angoissante. Il y a aussi le déni et la dissonance cognitive : on préfère les mensonges rassurants que la vérité qui dérange.» En somme, on sait que la pollution est néfaste, pourtant on continue à produire des déchets qu’on ne trie pas toujours en se persuadant qu’on ne peut pas, par exemple, se passer de sacs plastique. Ou encore on se dit que de toute façon notre voisin a une grosse voiture qui pollue plus que la nôtre donc finalement, on n’est pas si mauvais que ça. Nos actions sont en contradiction avec nos connaissances parce que c’est plus facile comme ça. Par ailleurs, nous sommes en quelque sorte perturbés par... le plaisir. « Le cerveau sécrète de la dopamine, l’hormone du plaisir, lorsque les besoins primitifs sont satisfaits. Notre priorité c’est donc “ici et maintenant”, on ne se projette pas sur le long terme», explique le psychiatre niçois.
Dernier écueil, notre identité. « Nous avons été élevés, dans les sociétés occidentales, avec l’idée de croissance infinie. Ce sont nos propres valeurs qui font obstacle à notre capacité à changer radicalement nos comportements, souligne le Dr Jaubert. On espère passer entre les gouttes et on préfère ne pas penser au fait que notre facon de vivre à l’heure actuelle précipite la disparition de ce que nous chérissons par ailleurs : la planète.»
Changer de perception
Mais le psychiatre a tout de même de bonnes nouvelles. Il est possible, en travaillant sur soi finalement, de sortir de ces paradoxes. « D’abord, il faut abolir la distance que l’on a avec les événements et améliorer notre perception des choses. On doit donc changer d’instruments de mesure, par exemple en prenant en compte l’indice de développement humain et pas seulement le PIB. Il s’agit aussi de visualiser les conséquences de nos actes, positives comme négatives, réaliser que tout ce que l’on fait a un impact.»
Le psychiatre prône également un rapprochement entre les hommes. « En tissant du lien social, en dialoguant avec son voisin, on peut s’inscrire dans un cercle vertueux, réfléchir aux actions que l’on peut mener ensemble.» Il ajoute : «Il faut associer la prise de conscience à des émotions positives, en somme, on cherche des bénéfices immédiats. Par exemple, je consomme moins de viande, donc je fais des économies ; on organise une journée de nettoyage dans un parc, on termine par un pique-nique dans la bonne humeur. C’est sympa, on partage un bon moment et accessoirement c’est bon pour la planète.»
Autre manière de lutter contre le déni, «reconnecter la tête et le coeur en étant à l’écoute de ses émotions, être attentif à ce qu’il se passe ici et maintenant. C’est le principe de base de la méditation : si on est bien centré, on fait attention à tout ce qu’il se passe. Enfin, il faut s’efforcer de construire de nouveaux imaginaires, de nouveaux récits : ça peut être joyeux et sympathique.» Pour conclure, le déni et la dissonance cognitive s’expliquent par un mécanisme de protection que nous mettons en place pour lutter contre l’angoisse de fin du monde. Sauf qu’ils ne sont pas du tout adaptés à l’urgence de la situation. Mais le psychiatre se veut optimiste : « Nous avons les moyens de réagir. C’est un peu tard mais c’est maintenant ou jamais.»