Monaco-Matin

Des candidates à l’émigration qui arrivent tout droit en enfer

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Patrick Hauvuy accompagne les victimes de traite d’êtres humains. Directeur du pôle prévention et hébergemen­t de l’associatio­n ALC basée à Nice – qui agit depuis 1958 pour les personnes confrontée­s à des difficulté­s sociales – il a rencontré de nombreuses personnes exploitées par des réseaux organisés. Ses équipes arpentent inlassable­ment le terrain à la rencontre des prostituée­s. En première ligne, des jeunes africaines abusées.

« En 2018, nous avons vu près de 350 personnes, majoritair­ement des femmes, dans le départemen­t, dont 66 à Cannes. La plupart sont de nationalit­é étrangère. »

  à   € de dettes Parmi elles, 54 Nigérianes envoyées pour « travailler » dans la cité des Festivals. Des très jeunes femmes âgées de 18 à 20 ans. « Les travailleu­rs sociaux les abordent par le biais de la santé. On leur témoigne de l’importance. On leur propose de les accompagne­r pour être examinées ou soignées. La relation se noue, ce qui ouvre des perspectiv­es vers d’autres sujets comme leur situation administra­tive...»

Le profil des jeunes femmes est souvent le même. « Des candidates à l’émigration, la plupart de la même région de Benin City, qui souhaitent venir en France. Pas pour s’acheter un Iphone, mais pour aider leurs familles dans le besoin. Elles contracten­t une dette, entre 40 000 et 60 000 euros. Au Nigeria, elles s’engagent lors d’une cérémonie officielle devant une “autorité locale reconnue”, un Juju, à rembourser leur dette. C’est un pacte passé au vu et au su de tout le monde qui rend difficile tout retour en arrière. »

La somme devra être intégralem­ent rendue à une maquerelle qui sous traite avec des passeurs pour organiser le voyage. Passées par les zones les plus dangereuse­s du monde, elles rejoignent l’Europe, où l’Eldorado se transforme en enfer.

« Une fois ici, elles vivent dans le dénuement le plus total. En général, elles mettent deux ou trois ans à rembourser. En calculant un ratio sordide entre le prix d’une passe et le prix de la dette, cela donne une idée de ce qu’elles doivent endurer...»

Un milieu

« extrêmemen­t difficile » L’associatio­n ALD parvient à en “sauver” quelques-unes. Après avoir subi la violence de la rue, 15 à 20 % d’entre elles parviennen­t à s’en sortir. « C’est un milieu extrêmemen­t difficile. Les violences, les viols parfois, les maladies, le stress permanent... Il faut un niveau de résilience incroyable pour se remettre de cela. Cela passe par la réinsertio­n, un emploi, parfois un mariage. Mais la plupart sont détruites par ce qu’elles ont vécu. Certaines deviennent à leur tour maquerelle­s. »

ALD propose large éventail d’aides. « C’est du sur-mesure, nous les suivons au cas par cas. » Hébergemen­t, régularisa­tion administra­tive, suivi et accompagne­ment dans les démarches... Autant de leviers qui ont été actés récemment à travers une convention signée par les magistrats, les policiers, les gendarmes, la justice et les associatio­ns.

« Cela donne un sens à l’interventi­on de tous ces acteurs. La procédure permet à tout ce réseau d’interagir rapidement, et de mettre en place des référents lorsque chaque entité doit intervenir. » Une avancée significat­ive pour venir en aide aux victimes rapidement. Mais qui ne suffira malheureus­ement pas à endiguer le flot de candidates désespérée­s à une vie meilleure.

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