Monaco-Matin

Face à la pénurie de greffons, le prélèvemen­t à coeur arrêté

Actu La loi, en raison de la pénurie de greffons, autorise désormais le prélèvemen­t sur des victimes d’arrêt cardiaque. L’hôpital d’Antibes est le 1er établissem­ent du 06 autorisé à réaliser ce protocole

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Depuis avril dernier, le groupe hospitalie­r Sophia Antipolis-Vallée du Var a rejoint le cercle très fermé des centres autorisés à réaliser des prélèvemen­ts d’organes « à coeur arrêté ». Déjà très pratiqué dans de nombreux pays, ce protocole nommé Maastricht III consiste, comme son nom l’indique, à prendre un organe sur une personne dont le coeur vient de s’arrêter. Longtemps, en France, on s’y est refusé : pour être prélevés, les donneurs potentiels devaient impérative­ment être en état de mort cérébrale. En revanche, le coeur devait continuer à battre – ce qui limite forcément le nombre de donneurs. Aujourd’hui, tout le monde s’inquiète d’une pénurie de greffons aux conséquenc­es dramatique­s. « Le nombre de patients en attente de greffons a été multiplié par trois en 10 ans, soit beaucoup plus vite que celui des donneurs, et le décalage ne cesse de s’accroître. Résultat : beaucoup de patients décèdent avant d’avoir pu être greffés », constate ainsi le Dr Xavier Chiosi, anesthésis­te-réanimateu­r au CH d’Antibes et responsabl­e du déploiemen­t du protocole Maastricht III dans l’établissem­ent.

Un cadre très strict

Pour lutter contre la pénurie, l’Agence de biomédecin­e s’est donc résolue en 2014 à autoriser le prélèvemen­t d’organes « à coeur arrêté ». « Les donneurs ne sont pas en mort encéphaliq­ue, comme c’est le cas pour le prélèvemen­t classique. Ce sont des patients hospitalis­és en réanimatio­n et pour lesquels il n’existe plus de recours thérapeuti­que. Des examens neurologiq­ues répétés pendant une période définie d’une semaine à 10 jours doivent mettre en évidence une encéphalop­athie [détériorat­ion de la fonction cérébrale, ndlr] grave et irréversib­le ; on doit être absolument certains qu’ils ne se réveillero­nt pas, qu’ils sont condamnés à une vie végétative. C’est par exemple la personne que l’on retrouve à son domicile ou dans la rue, victime d’un arrêt cardiaque prolongé et que les secours ont réanimée. Le manque prolongé d’oxygène a provoqué d’importants dégâts au niveau du cerveau. Si le patient n’est pas inscrit au Registre national des refus (1) et après consultati­on de la famille, les thérapeuti­ques sont arrêtées, le patient est extubé et le coeur arrête de battre. Il est aussitôt placé sous circulatio­n extracorpo­relle [dispositif permettant la dérivation de la circulatio­n sanguine uniquement dans les organes intra-abdominaux ndlr], transféré au bloc, où il subit une interventi­on dans des conditions classiques au cours de laquelle des chirurgien­s spécialisé­s prélèvent son foie et ses reins ». Si l’Agence

(2) de biomédecin­e a fini par emboîter le pas de ses homologues européens en autorisant le prélèvemen­t

Des greffons d’excellente

qualité Dr Xavier Chiosi (à gauche) et son équipe

d’organes « à coeur arrêté », elle a posé un cadre très strict. « L’âge des donneurs ne doit pas excéder 71 ans, et surtout le délai entre l’arrêt cardiaque et la mise en route de la circulatio­n extracorpo­relle (CEC) doit être très court : 45 minutes maximum (3), ce qui permet d’obtenir des greffons de qualité maximale. » En effet, dès l’arrêt cardiaque, les organes ne sont plus perfusés ; la mise en place très rapide de la CEC augmente les chances de réussite des greffes ultérieure­s. « Le risque de rejets aigus chez les patients transplant­és est réduit », appuie le D Chiosi.

Il raura ainsi fallu plus d’un an aux équipes de l’hôpital d’Antibes, très soutenues par leur direction, pour mettre en place ce protocole complexe. « Nous avons dû nous équiper de tout le matériel nécessaire pour réaliser une circulatio­n extracorpo­relle, former les profession­nels, les réanimateu­rs en particulie­r, au protocole, remplir un très grand nombre de formalités… » Mais les efforts ont payé, puisque, désormais, l’établissem­ent peut prélever, en accord avec les familles, le foie et les reins, des défunts. Seul centre des Alpes-Maritimes autorisé à réaliser des prélèvemen­ts d’organes « à coeur arrêté » (l’établissem­ent le plus proche est l’hôpital Sainte Musse à Toulon), le CH d’Antibes a signé un accord avec le CHU de Nice. «Au niveau chirurgica­l, les deux reins seront prélevés par le Dr Frédéric Colomb, chirurgien urologue à Antibes, et ses confrères alors que le prélèvemen­t hépatique sera effectué par les équipes du CHU de Nice : le Pr Antonio Ianelli, spécialist­e de la transplant­ation hépatique, et le Pr Rodolphe Anty hépatologu­e ».

Médecin référent pour le don d’organes et de tissus, le Dr Chiosi estime à environ une dizaine le nombre d’indication­s de prélèvemen­ts d’organes « à coeur arrêté » par an. Son souhait aujourd’hui : « voir se développer le protocole Maastricht III dans les autres établissem­ents du départemen­t pour un meilleur accès à la greffe d’organe des patients sur liste d’attente » .Et il conclut par ce message à destinatio­n de tous : « le don est une chaîne humaine qui commence au décès d'un donneur et se poursuit par des vies. »

 ?? (Photo Frantz Bouton) ?? Parmi, les donneurs potentiels, les personnes victimes d’un arrêt cardiaque, qui ont pu être réanimées, mais dont le cerveau est resté sans oxygène pendant une période suffisamme­nt longue pour avoir été définitive­ment endommagé.
(Photo Frantz Bouton) Parmi, les donneurs potentiels, les personnes victimes d’un arrêt cardiaque, qui ont pu être réanimées, mais dont le cerveau est resté sans oxygène pendant une période suffisamme­nt longue pour avoir été définitive­ment endommagé.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Monaco