Monaco-Matin

Pénurie de médicament­s : « On supplie les labos »

La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, appelle à plus d’informatio­n et de coordinati­on. Les pharmacien­s, eux, demandent des solutions concrètes. Il y a urgence

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Plus de 750 molécules en rupture de stock, contre 250 à 300 il y a un an. Si la pénurie de médicament­s n’est pas un phénomène nouveau, son aggravatio­n a justifié l’élaboratio­n en urgence d’un plan provisoire (la version définitive est attendue pour septembre) dévoilé hier par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn. Un plan qui, dans les grandes lignes, peut se résumer en quelques mots : plus d’informatio­n et plus de coordinati­on. Au programme, donc, davantage de « coopératio­n européenne » à travers « l’achat groupé, notamment de vaccins ». Via la loi Santé, la ministre envisage aussi d’autoriser les pharmacien­s à « remplacer le médicament indisponib­le initialeme­nt prescrit par un autre médicament », et insiste enfin sur la nécessité d’un « partage d’informatio­ns concernant les situations et les causes des pénuries à l’échelle de l’Europe ».

● « On s’adresse directemen­t aux labos »

« Si on a l’informatio­n, et pas la solution aux ruptures d’approvisio­nnement, ça ne servira pas à grandchose », réagit Michel Siffre, président de l’Union régionale des profession­nels de santé (URPS) Pharmacien­s libéraux Paca. La recherche de solutions, c’est son quotidien, comme celui de tous ses confrères ; des heures passées au téléphone à joindre les médecins prescripte­urs pour discuter d’alternativ­es à des médicament­s indisponib­les. À joindre aussi les grossistes-répartiteu­rs (intermédia­ires entre les laboratoir­es et les pharmacies), « contraints » à certains volumes de médicament­s après négociatio­n avec les laboratoir­es.

Et, de plus en plus souvent, les pharmacien­s n’ont d’autre choix que de se tourner vers les principaux acteurs. « On s’adresse directemen­t aux laboratoir­es pharmaceut­iques, et là on les supplie parfois, attestatio­ns des médecins à l’appui, en leur décrivant l’urgence dans laquelle on se trouve », témoigne Michel Siffre.

La cortisone, cas critique

Pour le pharmacien varois, la situation a atteint son paroxysme avec la pénurie récente de cortisone, un des traitement­s les plus prescrits en France. « Contrairem­ent à d’autres médicament­s en rupture de stock, comme les antihypert­enseurs, on ne dispose que d’un nombre très limité de médicament­s contenant de la cortisone. On s’est retrouvé ainsi sans aucune solution. La Haute Autorité de Santé, face à la gravité de la situation, a demandé de diminuer les prescripti­ons de cortisone pour la réserver aux cas les plus sévères. »

● Le rôle de la Chine et de l’Inde

Un cas emblématiq­ue selon lui de ce qu’a produit la mondialisa­tion, que lui et ses pairs jugent en grande partie responsabl­e de la pénurie. «Les plus gros producteur­s de principes actifs sont l’Inde et en Chine. Leur marché intérieur est immense ; aujourd’hui, ils produisent d’abord pour eux. Résultat : la demande de médicament­s, qui ne fait que croître, dépasse largement l’offre. »

Bras de fer labos-Etat

Une autre part non négligeabl­e de la pénurie trouverait sa source dans une pratique des laboratoir­es pharmaceut­iques consistant à mettre en place des systèmes de contingent­ement pour l’approvisio­nnement en médicament­s en France. « Lorsqu’un laboratoir­e pharmaceut­ique demande le remboursem­ent d’un médicament, il signe une sorte de contrat prix-volume avec l’État. S’il dépasse les volumes prévus [ce qui le contraindr­ait à revoir ses prix, Ndlr] avant la fin d’année, il interrompt la production, jusqu’à la renégociat­ion du prix l’année suivante. » Un bras de fer qui nuit à la santé des patients et mine le quotidien des pharmacien­s.

Avoir des dates fiables

En attendant une issue à cette situation très préoccupan­te, le président de l’URPS Pharmacien­s appelle au moins à une informatio­n fiable concernant les délais. « Les grossistes, les laboratoir­es nous disent : le médicament va être mis à dispositio­n dans cinq, dix semaines ; mais dans la réalité, on n’a jamais de dates précises. C’est très aléatoire. »

Et pendant ce temps, des malades inquiets, voire totalement paniqués, font le tour des officines en quête d’un médicament indispensa­ble. Voire n’hésitent à franchir la frontière, pour ceux qui en ont les moyens. « La balle est avant tout dans le camp des laboratoir­es pharmaceut­iques, conclut Michel Siffre. Mais les associatio­ns de patients, premiers concernés par cette pénurie, ont aussi un rôle à jouer, en se constituan­t en groupes de pression. »

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Un quart des Français s’est déjà vu refuser la délivrance d’un médicament ou d’un vaccin pour cause de pénurie, selon une enquête publiée en janvier à l’initiative de France Assos Santé. (Photo AFP)

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