Pénurie de médicaments : « On supplie les labos »
La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, appelle à plus d’information et de coordination. Les pharmaciens, eux, demandent des solutions concrètes. Il y a urgence
Plus de 750 molécules en rupture de stock, contre 250 à 300 il y a un an. Si la pénurie de médicaments n’est pas un phénomène nouveau, son aggravation a justifié l’élaboration en urgence d’un plan provisoire (la version définitive est attendue pour septembre) dévoilé hier par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn. Un plan qui, dans les grandes lignes, peut se résumer en quelques mots : plus d’information et plus de coordination. Au programme, donc, davantage de « coopération européenne » à travers « l’achat groupé, notamment de vaccins ». Via la loi Santé, la ministre envisage aussi d’autoriser les pharmaciens à « remplacer le médicament indisponible initialement prescrit par un autre médicament », et insiste enfin sur la nécessité d’un « partage d’informations concernant les situations et les causes des pénuries à l’échelle de l’Europe ».
● « On s’adresse directement aux labos »
« Si on a l’information, et pas la solution aux ruptures d’approvisionnement, ça ne servira pas à grandchose », réagit Michel Siffre, président de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) Pharmaciens libéraux Paca. La recherche de solutions, c’est son quotidien, comme celui de tous ses confrères ; des heures passées au téléphone à joindre les médecins prescripteurs pour discuter d’alternatives à des médicaments indisponibles. À joindre aussi les grossistes-répartiteurs (intermédiaires entre les laboratoires et les pharmacies), « contraints » à certains volumes de médicaments après négociation avec les laboratoires.
Et, de plus en plus souvent, les pharmaciens n’ont d’autre choix que de se tourner vers les principaux acteurs. « On s’adresse directement aux laboratoires pharmaceutiques, et là on les supplie parfois, attestations des médecins à l’appui, en leur décrivant l’urgence dans laquelle on se trouve », témoigne Michel Siffre.
La cortisone, cas critique
Pour le pharmacien varois, la situation a atteint son paroxysme avec la pénurie récente de cortisone, un des traitements les plus prescrits en France. « Contrairement à d’autres médicaments en rupture de stock, comme les antihypertenseurs, on ne dispose que d’un nombre très limité de médicaments contenant de la cortisone. On s’est retrouvé ainsi sans aucune solution. La Haute Autorité de Santé, face à la gravité de la situation, a demandé de diminuer les prescriptions de cortisone pour la réserver aux cas les plus sévères. »
● Le rôle de la Chine et de l’Inde
Un cas emblématique selon lui de ce qu’a produit la mondialisation, que lui et ses pairs jugent en grande partie responsable de la pénurie. «Les plus gros producteurs de principes actifs sont l’Inde et en Chine. Leur marché intérieur est immense ; aujourd’hui, ils produisent d’abord pour eux. Résultat : la demande de médicaments, qui ne fait que croître, dépasse largement l’offre. »
Bras de fer labos-Etat
Une autre part non négligeable de la pénurie trouverait sa source dans une pratique des laboratoires pharmaceutiques consistant à mettre en place des systèmes de contingentement pour l’approvisionnement en médicaments en France. « Lorsqu’un laboratoire pharmaceutique demande le remboursement d’un médicament, il signe une sorte de contrat prix-volume avec l’État. S’il dépasse les volumes prévus [ce qui le contraindrait à revoir ses prix, Ndlr] avant la fin d’année, il interrompt la production, jusqu’à la renégociation du prix l’année suivante. » Un bras de fer qui nuit à la santé des patients et mine le quotidien des pharmaciens.
Avoir des dates fiables
En attendant une issue à cette situation très préoccupante, le président de l’URPS Pharmaciens appelle au moins à une information fiable concernant les délais. « Les grossistes, les laboratoires nous disent : le médicament va être mis à disposition dans cinq, dix semaines ; mais dans la réalité, on n’a jamais de dates précises. C’est très aléatoire. »
Et pendant ce temps, des malades inquiets, voire totalement paniqués, font le tour des officines en quête d’un médicament indispensable. Voire n’hésitent à franchir la frontière, pour ceux qui en ont les moyens. « La balle est avant tout dans le camp des laboratoires pharmaceutiques, conclut Michel Siffre. Mais les associations de patients, premiers concernés par cette pénurie, ont aussi un rôle à jouer, en se constituant en groupes de pression. »