Jeunes migrants : un projet
Sur réquisition du préfet, le centre Orméa de Sainte-Agnès devrait accueillir 56 mineurs étrangers isolés. Les habitants dénoncent un manque de « concertation » et une gestion humaine « préoccupante »
Depuis plusieurs mois, la question migratoire agite le paisible village perché de Sainte-Agnès. En mars dernier, le maire Albert Filippi avait organisé une réunion d’urgence – ouverte à tous les villageois – à la salle Saint-Charles.
L’édile venait d’apprendre que la préfecture des Alpes-Maritimes avait l’intention de réquisitionner l’ancien centre de loisirs Orméa – appartenant à la commune de Roquebrune-Cap-Martin – pour y installer un accueil de mineurs non accompagnés en situation vulnérable. « Je n’ai pas été informé de cette décision qui me tombe dessus, sans même une seule concertation (...) Je ne suis pas opposé à l’accueil des étrangers mais nous sommes un petit village qui n’a pas les moyens de gérer de tels flux », avait-il déclaré lors de la réunion.
La commune déboutée
Farouchement opposé au projet, le maire avait déposé une requête en juin dernier afin d’obtenir la suspension de l’arrêté préfectoral. La semaine dernière, le tribunal administratif de Nice a débouté la commune de sa demande formulée, via un référé liberté. Pour les juges, il était vital de veiller « à la protection des mineurs étrangers isolés en situation de détresse psychique, médicale et sociale. »
Le Conseil départemental – compétent pour gérer la question des mineurs étrangers isolés – procède actuellement à des travaux de rénovation de l’ancien centre Orméa. Il devrait accueillir 56 jeunes étrangers dans quelques mois. Malgré ce revers juridique, Albert Filippi garde « confiance ». Le dossier devra être jugé sur le fond par le tribunal administratif de Nice. « J’espère qu’une réflexion sage sera menée. Objectivement, un accueil de jeunes migrants pose trop de problèmes à Sainte-Agnès qui compte seulement 150 habitants au coeur même du village, se défend le maire. L’Orméa est situé à plus de dix kilomètres de Menton, sur un accès départemental accidentogène, sans police municipale. De plus, ces jeunes – qui ont connu des scènes de guerre – auront besoin d’un réel suivi. Comment être sûrs qu’ils n’auront pas des excès de colère ? » L’édile fait référence aux récentes tensions qui ont agité le foyer pour migrants mineurs de Valbonne (1). « Je n’ai pas envie de ça pour SainteAgnès...»
Depuis plusieurs années, Albert Filippi travaillait sur un projet de réhabilitation de l’ancien centre de loisirs Orméa.
Un projet qui reste flou pour les habitants
Fermé en 2015 à cause de sa vétusté, l’établissement accueillait autrefois les centres aérés et les colonies de vacances. Le projet d’accueil de jeunes migrants fait donc voler en éclats le projet pédagogique initial de la municipalité. Mais suscite également beaucoup d’interrogations auprès des habitants. « Bien sûr, il faut aider et protéger ces jeunes. Mais, je me demande si notre village en a les capacités... », témoigne Josette, âgée de 93 ans. Et d’évoquer un problème du quotidien. « Des bus seront-ils prévus pour eux ? La question des transports s’est-elle vraiment posée ? »
La plupart des villageois dénoncent un manque flagrant de « concertation » à l’instar de Frédéric Pelissier, artisan sur verre.
« J’ai toujours trouvé que le mélange de cultures et l’exotisme étaient très positifs pour une ville. Pourtant, je suis très réticent à ce projet car il n’y a pas eu de concertation. Sans discussion, ni explication, les habitants seront inquiets et hostiles au projet. » Et d’ajouter que la question migratoire fait pourtant partie intégrante de l’histoire du village. « La grande majorité des habitants est issue de l’immigration italienne. En réalité, je pense que le problème, ce n’est pas d’accueillir les migrants mais surtout de savoir de quelle façon les accueillir. »
Un accompagnement nécessaire
‘‘ Livrés à eux-mêmes ”
Pour Thierry, habitant du village et employé du restaurant et hôtel Le Saint Yves, la gestion humaine du problème doit être remise en question. « Je trouve ça honteux de rassembler des jeunes dans un village éloigné, au bord d’une route. Ici, ils vont être livrés à eux-mêmes et ce n’est pas leur rendre service. » Comme la plupart des habitants, il garde en tête l’arrivée de douze jeunes migrants au centre Orméa – après une décision préfectorale – il y a quelques années de cela. « Ils erraient la journée entière au village ou au bord de la route. Certains prenaient le bus pour aller jusqu’à Menton... il n’y avait aucun accompagnement. »
Pour Fabrice qui vit quelques mois dans l’année à Sainte-Agnès, ces jeunes auront besoin d’un réel suivi. « Autrement, ils vont vite se sentir comme en détention. Et au final, les habitants tout comme les jeunes seront perdants. »
1. 1 300 habitants en comptant les habitants des collines.
2. Le 4 juillet dernier, une bagarre a opposé un groupe de jeunes Africains au personnel du foyer Les Pins à Valbonne. Trois pensionnaires ont comparu devant le tribunal de Nice pour violence, menaces de mort, et outrage contre des personnes chargées d’une mission de service public.
Dossier : Alice ROUSSELOT et Stéphanie WIÉLÉ Photos : Sébastien BOTELLA