Monaco-Matin

Dominique Lory, chef du Louis XV à Monaco

2. Chef exécutif du vaisseau amiral d’Alain Ducasse à Monte-Carlo, il a fait entrer le barbecue dans les cuisines du Louis XV. Étoiles gourmandes et simplicité étincelant­e

- FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Monte-Carlo. La célèbre place du Casino avec son ballet chaque jour réinventé de bolides, limousines et badauds. Jouxtant l’opéra, un théâtre du goût accueille de façon plus furtive, ou moins démonstrat­ive, les aventurier­s du palais. Depuis qu’une troisième étoile, en 1990, a fait briller cet astre de la gastronomi­e monégasque, Alain Ducasse a démultipli­é son talent, prêchant urbi et orbi sa passion. C’est, depuis huit ans, Dominique

Lory qui, à son rang de chef exécutif, couve cette flamme olympique qu’il ravive de sa propre étincelle. Mais comment se faire un nom quand on tient les cuisines du restaurant Le Louis XV Alain Ducasse

à l’Hôtel de Paris ? À cette question, posée cent fois, il répond avec un sourire franc : « En faisant ma cuisine ! » Dominique Lory, 40 ans tout rond, a grandi depuis la fin des années quatre-vingt dans l’ombre du géant. Engagé en qualité de commis, il a développé à son côté des dispositio­ns qui l’ont placé en orbite. « Je suis très fier d’avoir la confiance d’Alain Ducasse, qui me laisse carte blanche. Très fier aussi d’être le responsabl­e de ce vaisseau amiral. Le Louis XV n’est pas seulement l’un des plus beaux restaurant­s du monde, il est aussi son restaurant de coeur. » À son arrivée, Dominique Lory a suivi la direction assignée.

Grand fan du barbecue”

Celle d’une cuisine méditerran­éenne de saison que Ducasse, à Monte-Carlo toutes les trois semaines en moyenne, voit s’épanouir autour de ses deux plats emblématiq­ues, toujours à la carte. Le premier est un bouquet de légumes de Provence à la truffe noire. Le second, un stockfish. Sous la forme d’un ragoût de tripettes de cabillaud, autre intitulé pour désigner la vessie natatoire. Dit comme ça, on se demande si vraiment l’appétit peut venir en mangeant. C’est tout le miracle d’un mets où concourent oignons, tomates et poivrons mijotés, Pérugine finement découpée,

‘‘ soupçon de morue effeuillée et, pour la fraîcheur, quelques côtes de romaine.

Tout le reste, Dominique Lory l’a conçu, y compris des spécialité­s végétarien­nes qui demeurent pour lui un challenge : « Cet exercice est difficile car il suppose d’imaginer une assiette à la fois élégante et gourmande. Où, à la fin, on n’ait pas la sensation d’avoir manqué de quoi que ce soit. »

De nouveaux plats font leur apparition à chaque saison. Pour ne lasser ni les habitués ni les équipes. Soit une cinquantai­ne d’employés où l’on trouve dix-huit cuisiniers, quatre pâtissiers, six plongeurs, vingt personnes en salle et deux autres au bureau.

« Ne jamais se laisser dépasser »

Il s’agit aussi de ne pas se laisser dépasser par quiconque. Pour fuir la routine, Dominique Lory se remue les méninges. Voici, aujourd’hui, un plat de spaghettis, girolles, épines et pommes de pin. Authentiqu­e ! Les pousses de pin sylvestre sont du jour, pilées au mortier pour entrer dans la compositio­n d’un pistou. Les pommes vertes et les champignon­s accentuent la sensation d’une balade dans les bois, assure le chef qui n’aime rien tant que « les produits que d’autres n’ont pas ». Avec des procédés qui détonent, puisque, « grand fan du barbecue » ,il cuit toutes les viandes au charbon de bois. «Lapeau de la volaille qui craque sous la dent et contraste avec le moelleux de la chair, je ne connais rien de meilleur. » Ne jamais brider l’invention. La seule limite étant celle imposée par les trois étoiles : ce doit être bon. « Très bon, même ! », corrige-t-il en riant. «Le but au Louis XV, c’est qu’une fois terminé, on se dise qu’on en aurait bien mangé un peu plus. » Si tel n’est pas le cas, c’est que le plat n’était pas abouti. Ne pas y voir une question de quantité, la notion de frustratio­n ne figurant pas au menu. Dominique Lory veut plutôt que l’on se dise : « Wow ! C’était super-bon ! » Pour garder de sa visite un souvenir impérissab­le et n’avoir qu’une envie : revenir. Ce qu’un « simple » bouillon de melon agrémenté de citronnell­e, gingembre et homard bleu suggère, sur un accord entre textures (gelée, granité) et températur­es (bouillon et glacé) assurant « une fraîcheur idéale pour démarrer un menu ».

Principe de plaisir

Ici, tout ce que l’on trouve dans l’assiette a une raison d’être qui ne doit rien au décor. À l’image du condiment trévise-cerise accompagna­nt le boeuf, les associatio­ns les plus déroutante­s créent des aspérités qui suscitent le dialogue entre client et serveur. Dialogue dont il n’est pas rare qu’il se poursuive à l’office. Il est habituel, au Louis XV ,quela salle s’invite en cuisine, et non l’inverse. Le chef à plaisir à montrer son terrain d’expériment­ation. Pas de cloison étanche, l’alchimie est totale. Monaco, univers no-limit. Tous les désirs sont les bienvenus, y compris les plus fous. L’exemple qui lui vient à l’esprit n’est pas forcément celui auquel on s’attend : « Si un client qui vit à l’hôtel depuis un mois a envie d’une salade de tomates, on la lui fait. » Idem pour l’enfant qui ne jurerait que par les pâtes au beurre. Un éloge de la simplicité qui ne peut pas faire oublier la haute technicité de ce qui se trame aux fourneaux. « La pression, je ne la montre pas. J’en connais que le moindre imprévu foudroie. Moi, ça me pousse. J’ai le stress positif ! Je garde tout sur moi et je répartis en fonction des charges de chacun. » Dominique Lory se dépasse dans le « hors-carte », comme un skieur émérite qui s’éclaterait hors des pistes.

Il est toujours temps de décompress­er en famille. De préférence autour d’un barbecue et avec des amis, le « moment de la table » étant, pour lui, « extrêmemen­t important ». Il y consacre généraleme­nt son jour de relâche. Un mardi bien rempli, c’est aussi ce qui fait de lui un homme accompli.

On en aurait bien mangé un peu plus”

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 ?? (Photo F.L.) ?? Comment s’épanouir dans l’ombre d’un géant ? « En faisant ma cuisine ! », répond en riant Dominique Lory.
(Photo F.L.) Comment s’épanouir dans l’ombre d’un géant ? « En faisant ma cuisine ! », répond en riant Dominique Lory.

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