70 André Böröcz : l’émigré hongrois qui créa le Festival de Menton
Nice Matin poursuit sa balade à travers 70 ans de festival. Cette fois, nous avons retrouvé des traces et des témoignages sur la vie du fondateur du premier grand festival de musique de chambre de France
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l fallait voir ce petit homme pressé, vif comme un feu follet, légèrement voûté, l’oeil malicieux, roulant les r comme pas deux, présent sur tous les fronts. Il apparaissait en smoking blanc sur le parvis Saint-Michel, en polo de marin dans la vieille ville, ou torse nu sur son bateau dans le port. Tel était André Böröcz, le fondateur du Festival de Menton. Lorsqu’on monte aujourd’hui au parvis SaintMichel, on peut voir son effigie gravée sur un mur au haut des rampes. Durant le Festival, il y a toujours quelqu’un pour fleurir cette sculpture.
Qui était vraiment André Böröcz ? Il n’existe pas de biographie de lui. En ramassant les témoignages qu’il a laissés à ses proches, ou les confidences qu’il a pu faire ou écrire, on arrive à reconstituer sa vie.
Apatride après la prise de pouvoir des communistes en Hongrie
Né en 1919 en Hongrie d’une mère pharmacienne et d’un père ingénieur dans les chemins de fer, il avait de lointains ancêtres militaires lorrains qui avaient appartenu aux armées napoléoniennes et étaient venus s’installer près de Szeged, en Hongrie, après la retraite de Russie. Ayant accompli des études de latin, grec, allemand et français, mais aussi des classes au conservatoire de Budapest, André Böröcz fut confronté à la Deuxième Guerre mondiale.
Il résista contre les nazis, fut emprisonné et même condamné à mort. Heureusement, quatre mois après le pays était libéré.
En mai 1946, une mission de la Radio Hongroise l’envoie à Paris. Il devint correspondant radio de son pays. Son bureau était installé dans l’ambassade hongroise. Lorsqu’intervint en 1948 la prise de pouvoir de la Hongrie par les communistes, il refusa de rentrer dans son pays.
Il se retrouva apatride. Le directeur de la Radio française lui proposa d’enregistrer de grands musiciens hongrois de passage à Paris : le violoncelliste Janos Starker, le pianiste Solchany… La voie artistique s’ouvrait à lui. Lors de l’été 1949, le directeur des disques Pacific, qui avait une villa au Cap d’Antibes, lui proposa de l’accompagner sur la Côte d’Azur.
« Il avait un flair pour détecter les futures vedettes »
À cette occasion, il visita Menton. Nous racontons par ailleurs le hasard de la découverte du parvis SaintMichel au son d’une sonate pour violon de Bach émanant d’un poste de radio voisin et sa décision subite de créer un festival en ce lieu. Né un certain 12 août 1949.
C’était le premier grand festival de musique de chambre à ciel ouvert de France. André Böröcz en fut l’inoubliable directeur pendant un demi-siècle, faisant venir en ce lieu enchanté les plus grands concertistes du monde.
Il n’était pour eux ni un directeur ni un imprésario, mais un ami. Il les accueillait sur son bateau (le « Tamaris » puis le « John Gray »), les amenait pêcher les oursins ou faire du ski nautique dans les criques italiennes.
Il avait un flair pour détecter les futures vedettes : ainsi, le pianiste prodige grec Dimitri Sgouros qu’il fit jouer… à 10 ans en 1984, ou sa dernière trouvaille avant sa mort, le pianiste turc Fazil Say qu’il nous fit découvrir en 1997.
Une croisière musicale à bord du Mermoz
Tous les ans, une fois l’été fini, il organisait une croisière musicale à bord du Mermoz. Les artistes et le public fortuné de Menton se retrouvaient à bord du navire. Inoubliable ambiance musicale et familiale sur les flots de la Grande Bleue ! Le soir, les plus beaux sites de la Méditerranée étaient transformés, à terre, en lieux de concerts.
La magie de Menton s’exportait dans la Grèce Antique ou sur les côtes espagnoles.
Ses cendres dispersées sur les hauteurs de Garavan
André Böröcz est mort le 28 décembre 1998, à l’âge de 78 ans, six mois avant son cinquantième festival. Son épouse Jacqueline assura la direction intérimaire de cette édition. Jamais son festival ne serait plus le même.
Ses cendres furent dispersées sur le sommet du Garavan – en ce lieu merveilleux d’où on a une vue enchanteresse sur la ville où il avait créé l’un des plus beaux festivals du monde.