Le plus beau des Tours ?
Depuis la première journée à Bruxelles, cette 106e édition a été pleine de rebondissements. Nous avons demandé à trois grands connaisseurs du Tour, ce qu’ils en retiendront
C’est le plus beau Tour du XXIe siècle », assurait il y a quelques jours Bernard Thévenet, double vainqueur du Tour et quasiment 50 Grandes Boucles au compteur. Cette 106e édition restera pour longtemps dans les mémoires des amateurs de la petite reine. Parce qu’il y a eu du spectacle tous les jours ou presque, des attaques, des rebondissements, et des Tricolores qui jouent les premiers rôles. Nous avons demandé à trois figures de la salle de presse, des confrères avertis et grands connaisseurs de leur sport, venus de trois pays différents, où ils situeraient cette édition dans leur panthéon personnel.
Patrick Chassé, Europe , Tours de France :
« Dans ceux que j’ai eu la chance de suivre comme journaliste ou suiveur, je mets ce Tour tout en haut. Après, comme spectateur, j’ai en mémoire les Tours 1984 et 1989, mais c’est peut-être tronqué car j’enracinais cette passion en moi, parce que c’était les Tours de ma jeunesse. 1984, quand tout le monde attend le come-back de Hinault mais Fignon le malmène au point de le renvoyer au rang de champion ordinaire. 1989, car au-delà des huit secondes, il y a plein de rebondissements entre LeMond et Fignon. Là, on vit le Tour dans l’instant, mais il faudra l’analyser avec le temps, avec du recul. Il y a des choses qu’on va relativiser et d’autres choses qui vont émerger. On a déjà vu des Tours avec des écarts assez minces, mais avec beaucoup moins de spectacle. Ce dont je suis sûr, c’est que ce Tour a été superbement dessiné. Malheureusement, il finit en eau de boudin et personne n’y peut rien. Et j’ai peur qu’on retienne que le résultat a été faussé avec ces étapes escamotées ».
Ciro Scognamiglio, Italien, Gazzetta dello Sport, Tours de France :
« C’est un Tour très intéressant, bien plus que ces dernières années. Les raisons ? D’abord parce qu’il était très bien dessiné, avec des étapes piégeuses, comme celles de Saint-Etienne ou d’Albi avec les bordures. Mais aussi grâce à la façon de courir d’Alaphilippe et au suspense sportif, avec encore cinq coureurs en moins de 2 minutes au matin de la dernière étape de montagne. Ce qui n’était plus arrivé depuis 1968. Personnellement, je le classe derrière l’édition de 2014. C’est normal en tant qu’Italien, parce que Vincenzo Nibali a porté le Maillot Jaune 19 jours sur 21. Mais celui-ci, je le mets immédiatement derrière. Devant celui de 2009, qui avait été très intéressant avec la rivalité interne entre Contador et Armstrong. Notre couverture n’est pas plus importante cette année, en dehors de l’affaire météorologique d’hier (vendredi). Elle l’avait été bien plus importante lorsque Nibali s’était imposé ».
Hugo Coorevits, Belge, Het Nieuwsblad, Tours de France :
« J’avais 10 ans quand j’ai vu gagner Eddy Merckx pour la première fois (en 1969). Bien sûr, ce Tour-là, je le place au-dessus dans ma hiérarchie. Mais comme journaliste, je mets celui de 2019 largement en numéro 1. Un demi-siècle plus tard, on a revu le même type de cyclisme grâce à Alaphilippe, qui a enflammé ce Tour de France. Ça a commencé dès Epernay, puis à Saint-Etienne. Là-bas, j’ai vu des choses que je n’avais encore jamais vécues en 24 Tours de France. De Gendt qui va au bout dans une échappée à l’ancienne, Alaphilippe et Pinot qui parviennent à s’échapper sur une simple côte, Thomas qui chute, Nibali qui perd déjà le Tour… Alaphilippe a été magique avec ce Maillot Jaune, dans la souffrance au Prat d’Albis, dans sa prise de risques dans la descente du Galibier. Je crois que toute la France a vibré avec lui. Ineos a vraiment eu peur de lui. Et puis, l’étape vers Tignes a été légendaire. Parce qu’il n’y a pas eu de vainqueur, mais aussi grâce à Bernal qui s’est livré en attaquant de loin. D’Indurain jusqu’à l’an dernier, il n’y a pas eu un Tour avec autant de suspense. »