Monaco-Matin

Colagreco, le Youkounkou­n de la cuisine internatio­nale

4. Auréolé de trois étoiles au Michelin, le chef argentin domine le classement mondial « 50 Best ». Au Mirazur, à Menton, ce géant à la main verte sublime en cuisine ce qu’il cultive en son jardin par ses pairs, met du coeur à l’ouvrage

- FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Il a quitté son Argentine natale pour débarquer en France il y a presque vingt ans. Avec un but : s’initier à la pratique de la gastronomi­e hexagonale. Et une ambition : apprendre auprès de chefs à étoiles. Un maître de stage avait bien essayé de le décourager en ressassant que la fréquentat­ion de cette élite serait une source de frustratio­n. Entrer chez les grands par la petite porte l’exposerait à éplucher des pommes de terre, à équeuter des haricots verts et à brosser des champignon­s…

Il l’a fait. Sans maugréer, Mauro Colagreco s’est exécuté, mais pas longtemps. Passé par les casseroles de Bernard Loiseau, Alain Passard, Guy Martin ou Alain Ducasse, le jeune cuisinier s’est hissé au rang de ceux qu’il admirait.

Le 1er avril 2006, il a repris le Mirazur, à la sortie de Menton. Une maison

‘‘ immaculée des années trente, sa belle rotonde perchée au-dessus de la voie de chemin de fer et donnant sur la mer. Une sorte aussi de vestibule de l’Italie, à quelques enjambées de l’ex-poste frontière où un escroc nerveux, dans Le Corniaud, tentait de faire passer incognito le plus gros diamant du monde dans le volant d’une Cadillac. Il n’est pas impossible que Mauro Colagreco, fan de Louis de Funès et de Bourvil, ait vu un bon présage dans ce souvenir de comédie. « Dans ce film, que j’adore, on voit le Mirazur durant quelques secondes. » Son installati­on aurait pu

faire penser à un poisson d’avril si ce prodige aux goûts métissés, issu de grands-parents des Abruzzes et de Calabre, n’avait assimilé avec instinct toute la complexité de la vie en Méditerran­ée. Il en ignorait à peu près tout, les produits comme les recettes. Ce qui lui a permis de rompre avec les codes, libre d’esprit, n’ayant ici aucun repère.

Argentin désargenté

Le secret de son talent ? Une cuisine de terroir où dominent la fraîcheur et l’invention. Un éloge du règne végétal où sont également présents l’univers de la mer et celui de la montagne. Une gastronomi­e de vérité où le chef évite les redites et refuse la facilité de ces « plats signatures », comme on l’écrit prétentieu­sement, qui, répétés à l’envi, finissent par émousser l’appétit.

On voit le Mirazur dans Le Corniaud...”

Cette approche a séduit. Après seulement un semestre d’exercice, le Mirazur était qualifié de révélation de l’année par le GaultMilla­u. Encore un trimestre et le chef serait crédité de sa première étoile. Depuis, le Michelin l’a encensé. Trois étoiles depuis ce mois de janvier, et une reconnaiss­ance internatio­nale avec la première place du classement controvers­é mais convoité des 50 Best ,à l’initiative du magazine britanniqu­e Restaurant. Mauro Colagreco n’est toujours pas propriétai­re des murs. Cet Argentin longtemps désargenté a tout de même pu s’offrir le fonds après le départ d’un associé. Qu’il avait dû convaincre: « J’avais 25 000 euros en poche, on m’en demandait 40 000 pour la caution. » Le Mirazur a démarré avec trois fifrelins : 10 000 euros pour le roulement. Ce sont d’abord les fournisseu­rs qui ont soutenu le projet en acceptant d’échelonner les paiements sur quatre, cinq, voire six mois. Depuis, le chef s’est racheté, fidèle à ceux qui ont cru en ses capacités et dans sa déterminat­ion.

Après avoir inscrit son nom sur la liste des restaurant­s qui comptent dans la région, le Mirazur s’est donc imposé parmi les plus grandes tables de la planète. L’adresse, désormais incontourn­able, attire à Menton des gastronome­s au portemonna­ie rondelet. Il faut tout de même prévoir huit cents euros pour

‘‘ un dîner en tête-àtête. Parmi trente-cinq à quarante couverts, grand maximum.

On réserve déjà pour 

L’établissem­ent affiche complet jusqu’à la fin de l’année. On y prend déjà des réservatio­ns pour 2021 et les clients les plus résolus doivent patienter sur liste d’attente.

Tout ceci, alors même que le menu est une surprise, son contenu élaboré au gré de l’inspiratio­n du chef et de l’implicatio­n d’une équipe de cinquante personnes où l’on peut trouver, selon les années, une quinzaine de nationalit­és. Ces jours-ci, le poivron et l’aubergine, la tomate et le pois chiche, l’épinard et le fenouil, la tétragone et la câpre triomphent dans les assiettes. Cueillis le matin pour être servis le midi, légumes et fruits poussent dans un jardin où nul n’aurait l’idée de les brusquer. Tout en permacultu­re, sans fertilisan­t chimique ni pesticide.

La cuisine a un pouvoir”

« Ce qu’on leur donne à manger fait du bien à nos clients. Sinon gustativem­ent, au moins pour leur santé » ; s’amuse le chef dont la propre soeur a résumé l’esprit dans un beau livre : « C’est un jardinier déguisé en cuisinier. »

Parce que « la cuisine a un pouvoir », Mauro Colagreco s’en sert pour transmettr­e des émotions, raconter une histoire, s’affranchir des différence­s. Au Mirazur, qu’il voit comme un carrefour, une porte ouverte sur une planète se mêlent à grande vitesse les influences, le chef ne perd pas de temps. À quarante-deux ans, il est déjà le Youkounkou­n de la gastronomi­e internatio­nale.

 ?? (Photo Dylan Meiffret) ?? Il s’est installé à Menton à l’âge de  ans. Treize ans plus tard, le restaurant du monde. Mirazur est considéré comme le meilleur
(Photo Dylan Meiffret) Il s’est installé à Menton à l’âge de  ans. Treize ans plus tard, le restaurant du monde. Mirazur est considéré comme le meilleur

Newspapers in French

Newspapers from Monaco