Monaco-Matin

Henri Guybet : «Jesuisle premier goy ashkénaze »

À l’occasion de l’ouverture cet été du musée De-Funès à Saint-Raphaël, nous publions une série d’entretiens avec ceux qui ont côtoyé le comédien. Aujourd’hui : l’inoubliabl­e « Salomon »

- PROPOS RECUEILLIS PAR LIONEL PAOLI lpaoli@nicematin.fr

Du fond de ses yeux châtaigne, six décennies de “comédies à la française” vous contemplen­t. Présenté ainsi, l’homme peut paraître impression­nant. Mais Henri Guybet n’a rien d’un monstre sacré.

La preuve : celui qui fut, avec Romain Bouteille et Coluche, l’un des fondateurs du Café de la gare ,accepte sans barguigner de revenir sur un rôle qui a marqué sa carrière… il y a 46 ans ! Simple, chaleureux, dans un petit bistrot situé à deux pas du théâtre Daunou où il joue, à Paris, sa dernière pièce (1), l’éternel Salomon des Aventures de Rabbi Jacob ouvre son livre de souvenirs.

Comment avez-vous été choisi pour ce rôle ?

Gérard Oury m’avait remarqué dans un film de Georges Lautner, Quelques messieurs trop tranquille­s. Il m’a fait venir. La première question qu’il m’a posée, en s’excusant, c’est :

« Est-ce que vous êtes juif ? »

J’ai répondu : « Non. Mais que si le rôle est important, ça peut s’arranger très vite ». Ça ne lui a pas arraché un sourire ! Il m’a expliqué : « C’est parce qu’à un certain moment, le personnage doit parler hébreu. Mais ce ne sont que quelques phrases, ça ne devrait pas être un problème. »

Vous avez passé un essai ?

Oui. Il m’a fait jouer la fameuse scène de la voiture, qui était alors beaucoup plus courte… Trois jours plus tard, j’ai reçu un coup de fil : « Venez chercher le scénario. » C’est comme ça que j’ai su que j’étais pris.

Votre réaction en découvrant le script ?

J’ai eu un frisson. D’abord parce que j’ai pris la mesure de l’importance du

‘‘ rôle : Salomon était quasiment à toutes les pages ! Ensuite parce que c’était très, très bien écrit. Une sacrée bonne comédie.

Vous avez réalisé que le sujet du film était… explosif ?

Franchemen­t, non. Je ne connaissai­s quasiment rien aux conflits qui se déroulaien­t au Moyen-Orient. Pour moi, comme pour la plupart des Français à l’époque, c’était une guerre qui se passait très loin de chez nous… Je n’ai compris la portée antiracist­e de Rabbi Jacob que lorsque j’ai vu le film terminé. Ce message compte pour vous ? Évidemment. Il inscrit cette comédie dans la lignée de celles de Molière ou d’Aristophan­e, qui parlaient avec humour des moeurs de leur temps.

Comment Salomon a-t-il été perçu par la communauté juive ?

Extrêmemen­t bien. Pour une raison simple : Salomon est un juif qui dit merde, qui ne se laisse pas faire. Ça a beaucoup plu. Je reçois toujours des lettres de parents qui m’invitent à la Bar Mitzvah de leurs fils. [Il rit] Je suis le premier goy ashkénaze () ! Aujourd’hui encore, beaucoup de gens s’étonnent lorsque je leur dis que je ne suis pas juif… Je prends cela pour un compliment.

Louis de Funès a confessé que Rabbi Jacob lui avait

« décrassé l’âme ». Il a produit le même effet sur vous ?

Je connaissai­s mal cette communauté. Comme Louis, j’ai découvert les coutumes, les traditions, l’importance du sacré… J’ai adoré ça ! [Il sourit] Le personnage de Salomon a fait du bien à certains membres de ma famille. J’avais une grandmère qui était un peu antisémite. Elle adorait Jean Ferrat. Un jour, je lui ai appris que Ferrat était juif. Elle a haussé les épaules :

« Tu vois le mal partout ! »

Et De Funès ? Vous aviez eu l’occasion de le rencontrer avant ce film ?

Jamais. Lorsque j’ai dit aux copains du Café de la gare que j’allais tourner avec lui, ils m’ont presque consolé : «Ohlàlà,tu vas te faire chier ! Il paraît qu’il fait couper au montage les comédiens qui lui font de l’ombre. » Louis savait ce qui circulait sur son compte ; il s’en amusait. Un jour, ilm’adit: « C’est bien ce que vous faites. C’est dommage, le public ne le verra jamais. » Et… clac ! Il mimait des ciseaux ! [Il rit] C’était pour rire.

Quel genre de partenaire était-il ?

C’était un homme très doux, calme, conscienci­eux. Il n’aimait pas les médiocres. Si un acteur ou un technicien ne faisait pas correcteme­nt son travail, il pouvait être glacial. Mais sinon, il était toujours prévenant.

Un exemple ?

Au début du tournage, je n’avais pas de fauteuil à mon nom. Alors j’avais écrit « Henri Guybet » sur une caisse de la production. Il l’avait remarqué. Il n’a rien dit mais, le lendemain, j’avais mon fauteuil personnali­sé !

Quelle a été votre première scène ensemble ?

Celle de son arrivée dans la rue des Rosiers [reconstitu­ée à SaintDenis dans une artère vouée à la démolition, N.D.L.R.]. Je suis sur une échelle, je le reconnais et je l’interpelle : « Rabbi Jacob, mon patron m’a fichu à la porte… »

Là, il se retourne, et… il joue avec moi. Je veux dire : il joue vraiment ! Il cherche mon regard, guette mes réactions… Il ne voulait pas seulement faire son numéro ; il vous aidait à vous surpasser !

Vous disiez que la scène dans la DS, lorsque vous l’avez jouée avec Oury, était plus courte que celle qui figure dans le film…

Certaines choses sont venues naturellem­ent. Lors des répétition­s, on a « densifié » la séquence. On a rajouté des silences, des répliques. [Il sourit] Si on m’avait dit qu’elle aurait un tel succès...

Salomon est un juif qui dit merde…”

Avec le recul, vous ne pensez pas avoir été « enfermé » dans le personnage de Salomon ?

Mieux vaut avoir fait ça que rien du tout, non ? Je n’ai jamais été attiré par le vedettaria­t. Mon objectif a toujours été de jouer en essayant de vivre de mon métier. J’ai eu cette chance, jusqu’à aujourd’hui, et je sais que Salomon y est pour beaucoup.

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(Photos L. P. et DR) Quarante-six ans après, Henri Guybet a gardé le sourire de Salomon.
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