70 Les prouesses pianistiques de Beatrice Rana
La pianiste italienne a accompli un marathon de virtuosité, samedi soir sur le Parvis SaintMichel. Le public a été conquis
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lles ont du tempérament les femmes pianistes d’aujourd’hui ! Si l’on feuillette les anciens programmes du festival de Menton, d’abord, on trouve extrêmement peu de femmes pianistes. Ensuite, lorsqu’on en trouve, que jouent-elles ? Des sonates de Bach, du Mozart, la Sonate au Clair de lune , des pièces sentimentales de Schumann, de tendres impromptus de Schubert ou de touchants préludes de Debussy – toutes pièces infiniment belles mais nécessitant une virtuosité limitée.
Il a fallu attendre la génération des Martha Argerich, dans les années quatrevingt, pour commencer à entendre sous les doigts de ces dames des Rhapsodies hongroises de Liszt, des Préludes de Rachmaninov ou des Variations de Brahms.
Lutte avec le piano
Samedi soir, la pianiste italienne Beatrice Rana était en scène. À 26 ans, elle ne vaut, certes, pas encore Martha Argerich mais la performance qu’elle a accomplie mérite un coup de chapeau. Elle a enchaîné les douze Études de l’opus 25 de Chopin, lesquelles rassemblent à elles seules toutes les difficultés techniques en matière de traits virtuoses, d’enchaînements d’accords, de rythmes, de nuances, de déplacement et d’indépendance des mains, de toucher, de phrasé, de legato, de staccato, etc. Non contente d’avoir accompli ce marathon, après l’entracte elle s’est lancée dans l’interprétation des époustouflantes danses de Petrouchka de Stravinsky. Celles-ci comportent tant de notes sur toute la longueur du clavier qu’on a l’impression, en ouvrant la il était primé au conservatoire de Paris, ce qui lui ouvrait sans tarder une carrière de soliste et de musicien partition, qu’elles nécessiteraient la présence de plusieurs pianistes à la fois ! Et elle, Beatrice Rana, les a dominées avec ses deux seules mains, rageuse, bagarreuse, arc-boutée sur son clavier, lançant ses doigts en cavalcade, faisant rebondir ses bras et ses poignets, haussant les épaules, basculant son buste. Ah, cet acharnement à dominer l’oeuvre, cette lutte avec son piano ! Cela faisait des étincelles. Cela tenait de l’exploit. Et voilà que, l’oeuvre achevée et le public ravi, elle revint toute calme au piano rajouter en bis une treizième étude de Chopin (empruntée à l’opus 10) comme si de rien n’était. Nouvelle chevauchée sur le clavier ! On ne peut qu’admirer la prouesse.
Pianistes en jaune
Aucune femme pianiste n’aurait fait cela jadis, ni à Menton ni ailleurs. Oui, elles ont du tempérament les pianistes femmes d’aujourd’hui !
On l’a d’ailleurs constaté la semaine dernière avec l’époustouflante et spectaculaire chinoise Yuja Wang. Curieux détail – détail vestimentaire, certes, mais tout a son importance dans les festivals d’été, le textile et le style – toutes deux se sont présentées dans des robes couleur jaune. S’étaientelles donné le mot ? Le jaune est, décidément, la couleur qui aura marqué notre année, en matière de gilet ou de robe de soirée ! Peut-être, au fond, ces deux pianistes avaient-elles réalisé qu’elles venaient se produire dans la cité du citron…