L’ALCOOL AU VOLANT, DÉLIT N°1 À MONACO
Comment lutter contre le fléau de la conduite alcoolisée, premier délit en Principauté ? Dans ce dossier, gouvernement, magistrats et jeunes mobilisés sur le sujet apportent leurs réponses
Tous les vendredis et samedis soir de l’été, l’association Be Safe Monaco, présidée par Camille Gottlieb, ramène chez eux en navette les fêtards trop alcoolisés pour conduire. Une bonne action qui vient s’ajouter aux efforts du gouvernement et de la justice pour lutter contre ce fléau.
Il y a le ressenti et les chiffres. Mais comme magistrats et avocats aiment le dire dans les prétoires, les chiffres sont têtus. Le ressenti, c’est que les affaires de conduite sous l’empire d’un état alcoolique – les CEA dans le jargon – occupent une place prédominante et croissante à la barre du tribunal correctionnel de Monaco.
Même les professionnels de justice ont tendance à grossir la fréquence de ces dossiers, estimant « au doigt mouillé » que quatre dossiers sur dix sont des CEA. Les chiffres démontrent que c’est moitié moins.
Les statistiques
Entre le 1er octobre 2018 et le 5 août 2019, 86 dossiers de CEA ont été jugés, soit 22 % des délits examinés par la juridiction pénale. En outre, les statistiques démontrent que le nombre de CEA jugées à Monaco diminue année après année, passant de 137 en 20132014, à 83 l’an dernier.
Cela précisé, l’année judiciaire en cours, avec 86 CEA à ce jour, verra la courbe repartir à la hausse. Et le ressenti s’appuie sur une réalité : les conduites alcoolisées restent le premier délit traité par le tribunal correctionnel, devant les infractions à la législation sur les stupéfiants (17 %), les vols et recels (15 %), les violences volontaires (11 %) et les escroqueries en tout genre (10 %).
L’explication
La pole position des CEA n’est pas étonnante. « Nous sommes dans un endroit festif, surtout à cette période de l’année, et les gens ne sortent pas pour boire un Perrier-rondelle, illustre Sylvie Petit-Leclair, procureur général de Monaco. À cela s’ajoute l’efficacité de la Sûreté publique. Les policiers sont nombreux sur un petit territoire. Par conséquent, à chaque accrochage ou conduite dangereuse, les conducteurs sont interpellés et l’affaire arrive au tribunal correctionnel. »
Jérôme Fougeras-Lavergnolle, le président du tribunal correctionnel, livre la même analyse, quasiment au mot près.
La réponse pénale
Dans ces conditions, que faire face à ce fléau ? Quelle réponse pénale les magistrats apportent-ils ? Le parquet général, en fonction de l’importance du taux d’alcool dans le sang, des antécédents judiciaires et de l’origine géographique du prévenu, lui réserve un sort différent. Le conducteur peut être cité directement devant le tribunal, être convoqué devant le procureur pour se faire tirer les oreilles avant une comparution, ou passer directement par la case prison avant d’être jugé à l’audience de flagrance. Quant aux peines prononcées ensuite par les juges, elles sont semblables à celles que l’on constate en France – alors que les sanctions relatives aux atteintes aux biens sont souvent beaucoup plus sévères.
Pour autant, Monaco n’a pas toujours été clément avec les conducteurs alcoolisés. « Dans les années 2000, la justice était beaucoup plus répressive, se souvient Jérôme Fougeras-Lavergnolle. Quand un conducteur avait plus de 2 grammes d’alcool dans le sang, quels que soient son profil et ses antécédents, il partait en prison au moins pour huit jours. C’en était parfois choquant. Une évolution s’est amorcée avant mon arrivée à la présidence du tribunal, il y a cinq ans. Aujourd’hui, les peines dépendent de la nature du dossier. » Et pas uniquement des résultats de l’éthylotest. Un primo délinquant écopera plus certainement d’une peine de prison avec sursis, par exemple. Les peines sont ainsi comparables à celles prononcées en France. À ceci près que les courtes peines de prison, à Monaco, sont réellement effectuées. En France, ça n’est presque jamais le cas.
Les solutions
Que l’on interroge les magistrats du parquet ou du siège sur la qualité de la réponse pénale aux délits de conduite alcoolisée, tous avouent que l’éventail des peines n’est pas assez large, dans le droit pénal monégasque. La procureure regrette, par exemple, qu’il n’existe pas de procédure alternative à la comparution devant le tribunal. « Nous sommes obligés de poursuivre, explique Sylvie Petit-Leclair. En France, les délégués du procureur peuvent faire des rappels à la loi, une procédure qui a une vocation pédagogique pour celui qui commet ce délit pour la première fois. C’est extrêmement efficace et ça permet de désengorger les tribunaux. » Celleci évoque une autre procédure bien pratique, qui n’existe pas non plus en droit monégasque : la composition pénale. « Quand l’auteur du délit reconnaît les faits, le procureur propose une peine à son avocat. S’il l’accepte, le juge valide. » Et on évite une comparution en bonne et due forme. Le président du tribunal correctionnel estime aussi que ces alternatives au procès peuvent s’avérer utiles. Mais pour sa part, il attend surtout avec impatience l’adoption du projet de loi portant modification de certaines dispositions relatives aux peines. Le texte prévoit notamment « l’accroissement et de la modification des peines qui peuvent être prononcées par les juridictions de jugement, dans la perspective d’offrir aux juges davantage d’outils de personnalisation de la peine », peut-on lire sur le site du Conseil national.
« Nous sommes aujourd’hui limités dans l’échelle des peines, traduit Jérôme Fougeras-Lavergnolle. Demain, pour les CEA par exemple, nous pourrons prononcer des peines de travail d’intérêt général. »
Ce projet de loi pourrait être voté à la prochaine session législative. L’idée des procédures alternatives, proposée par le procureur général, est, quant à elle, lancée.