70 Boris Berezovsky : une main gauche follement adroite !
Lors du concert, en présence du prince Albert de Monaco, le pianiste russe a réalisé des prouesses pianistiques à une seule main
Te
out le monde connaît l’Etude révolutionnaire de Chopin. C’est l’une des oeuvres les plus brillantes et difficiles du répertoire pianistique. Chopin y traduit sa colère contre l’invasion de sa Pologne par la Russie. La musique rugit, se déchaîne, explose. Le pianiste parcourt le clavier en arpèges enflammés. Ses deux mains lui suffisent à peine pour jouer toutes les notes que contient la partition. Eh bien, mardi soir, ce pianiste phénomène qu’est Boris Berezovsky joua cette oeuvre avec… sa seule main gauche. Cette main sautait d’un bout à l’autre du clavier, se démultipliait, allait et venait furieusement, bondissait en accords, se répandait en cascades, remplaçait la main droite dans l’aigu et continuait à être main gauche dans le grave. Le public se pinçait pour vérifier qu’il ne rêvait pas. Il n’avait jamais vu cela. Une main gauche de malade ! Une main gauche follement adroite ! Aucun autre pianiste au monde – ou si peu ! – aurait été capable de réaliser une telle performance.
Le public explosa. Lui (le public) eut besoin de ses deux mains pour applaudir ! Le concert, ce soir-là, s’honorait de la présence du prince Albert II de Monaco. Le souverain, applaudi à son arrivée sur le parvis, était installé dans la loge officielle aux côtés de Jean-Claude Guibal, maire, président de la Métropole et de Mme Colette Giudicelli, sénatrice. Inutile de dire que le parvis débordait de monde ce soirlà.
Nous avons retrouvé le piano somptueux des grandes soirées mentonnaises, ce piano qui est dans la tradition des grands concerts de Sviatoslav Richter d’autrefois.
Pour le reste du programme, Boris Berezovsky a quand même fait usage de ses deux mains. On entendit une série d’oeuvres de Scriabine, compositeur à la personnalité ésotérique dont la musique, sombre et mystérieuse, est hantée de fantômes. Il joua aussi des oeuvres de Rachmaninov pétries de romantisme, dont certaines, étincelantes, étaient des transcriptions d’oeuvres d’autres Même le grand Sviatoslav Richter ne s’y est pas produit autant. (Neuf fois).
Ce soir, sa venue comptera double. compositeurs (de Bach, Mendelssohn, Kreisler, etc.). Il fallait voir Boris Berezovsky au clavier, massif et concentré, le visage imperturbable malgré la vigueur des efforts qu’il accomplissait. De beaux sons, ronds et profonds, sortaient de son piano. Parfois, son jeu devenait aérien. Ses deux grosses mains de bûcheron avaient alors des délicatesses de dentellière. Boris Berezovsky maîtrise au point suprême l’art du piano. En la matière, c’est un souverain. Un prince était dans la salle, un roi était sur scène.