Monaco-Matin

La lutte contre la pollution de l’air s’organise

La pollution tue : elle est la cause de 2 000 décès par an en Région Sud Paca. Elus, responsabl­es sanitaires, citoyens… disent l’urgence de prendre des mesures. Et proposent des solutions

- DOSSIER : SOPHIE CASALS

Le trait qui retrace son parcours de Fabron au centre-ville de Nice vire du rouge au violet. « Plus c’est violet, plus la qualité de l’air est pourrie. Ce sont les mesures que j’ai prises avec un petit capteur, lors du dernier pic de pollution à l’ozone », explique Airy Chrétien. Cofondateu­r du « Collectif citoyen 06 » et titulaire d’un diplôme universita­ire en santé environnem­entale, ce Niçois tire la sonnette d’alarme. « La pollution est un tueur invisible : elle tue plus que le tabac. Il faut arrêter avec les demi-mesures, et prendre le problème à bras-le-corps. » Ce citoyen n’est pas le seul à alerter. Réunis en colloque mi-juillet, les experts disent l’urgence d’agir pour un air respirable. « L’ozone se forme sous l’effet de la chaleur et du soleil sur la base des polluants automobile­s et industriel­s, rappelle Laetitia Mary, responsabl­e de l’action territoria­le pour Atmo Sud. On la retrouve donc principale­ment durant l’été. Plus de 80 % de la population de la région est exposée. »

Près de   personnes concernées à Toulon et Nice

Depuis juin, les pics de pollution à l’ozone s’enchaînent. Après une tendance à la baisse entre 1999 et 2017 due à une diminution des émissions de polluants de transports et aussi à un climat plus perturbé pendant l’été, la situation s’est de nouveau dégradée. « Depuis 2018, on a constaté une recrudesce­nce de ces épisodes de pollution : on est passé de 15 jours en 2017 à 30 jours en 2018, soit le double. » Et pour 2019, on est déjà à plus de 15.

Si l’été la pollution à l’ozone est prépondéra­nte, les habitants sont exposés au fil de l’année à d’autres polluants qui dégradent la qualité de l’air qu’ils respirent : oxydes d’azote, particules PM 10 (dont le diamètre est inférieur à 10 µm) et PM 2,5 (particules fines dont le diamètre est inférieur à 2,5 µm et qui pénètrent dans les alvéoles bronchique­s). Les concentrat­ions sont mesurées par le réseau de capteurs d’Atmo Sud, qui réalise des cartes de pollution. Les habitants des zones urbaines denses, situées sur le littoral des Alpes Maritimes et autour de la métropole toulonnais­e, sont les plus exposés. « 380 000 habitants de la métropole Nice-Côte d’Azur et 360 000 habitants de la métropole Toulon-Provence-Méditerran­ée sont concernés par le dépassemen­t de la ligne directrice fixée par l’OMS en matière d’exposition aux particules fines dont le diamètre est inférieur à 2,5 microns, les PM 2,5. À l’échelle de la région, ça concerne 70 % de la population », poursuit Laetitia Mary d’Atmo Sud.

« Le vrai problème, ce ne sont pas les pics »

Or, insistent les experts, ce ne sont pas tant les pics qui les préoccupen­t, mais l’exposition des habitants tout au long de l’année. « Les pics de pollution, ça n’a qu’une vertu : faire du buzz, éveiller les conscience­s. Le vrai problème, c’est la pollution de fond, celle de tous les jours » ,a expliqué le député du Rhône Jean-Luc Fugit lors du colloque sur les mobilités douces organisé mi-juillet à Nice. Cet élu, chimiste au franc-parler, le clame haut et fort : s’il a pris la présidence du Conseil national de l’air, sorte de Parlement de l’air, « ce n’est pas pour servir de plante verte. Je veux faire bouger les choses ». Et ça passe par la loi Mobilité dont il est le rapporteur, car, estime-t-il, il y a urgence à réduire cette pollution chronique.

« La pollution de l’air, c’est jusqu’à 27 mois d’espérance de vie perdue pour les personnes les plus exposées notamment dans les grandes agglomérat­ions », note Sylvia Medina, coordinatr­ice du programme « Air et santé » pour l’établissem­ent public Santé publique France. Une étude réalisée en 2007-2008 évalue à 12 % le taux de mortalité totale attribuabl­e à une exposition chronique aux particules fines (PM 2,5) dans les AlpesMarit­imes.

Certaines population­s sont plus vulnérable­s : les femmes enceintes, les nourrisson­s et les enfants de moins de 5 ans – car leur appareil respiratoi­re est en plein développem­ent –, mais aussi les personnes âgées, parce qu’elles ont souvent des pathologie­s chroniques. «Siles conséquenc­es en matière de maladies respiratoi­res et cardiovasc­ulaires sont connues, des études plus récentes montrent des effets sur les troubles de la reproducti­on et du développem­ent de l’enfant. Sur les affections neurologiq­ues, dont les maladies neurodégén­ératives et sur les maladies endocrinie­nnes dont le diabète », poursuit Sylvia Medina.

Un coût estimé de cent milliards d’euros

Et Muriel Andrieu-Semmel, responsabl­e du service « santé environnem­ent » à l’Agence régionale de santé, d’enfoncer le clou : « La qualité de l’air est un enjeu de santé publique, mentale et physique. » Le baromètre de l’ARS est édifiant : « La pollution de l’air, c’est 48 000 décès prématurés par an en France. Plus de 2 000 en région Paca. Elle est classée cancérogèn­e possible par l’Organisati­on mondiale de la santé. » Quant au coût, il s’élève à « 100 milliards d’euros : c’est près de trois fois le budget de la Défense ou du ministère de l’Écologie. » Un enjeu d’autant plus fort quand on sait qu’en 2050, 70 % de la population viendra densifier encore davantage les centres urbains. « Les attentes sont fortes, la population est prête à faire cette bascule, mais les élus hésitent à chambouler les habitudes », estime Muriel Andrieu-Semmel.

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