Faux départs volontaires chez SFR ? Premier round
Coup d’envoi, hier, devant le conseil de prud’hommes d’une série d’audiences opposant d’ex-salariés à l’opérateur de téléphonie. 400 dossiers. Le premier concerne un Niçois
Les ex-SFR étaient-ils des « désignés » volontaires au départ ? C’est ce que maître Romain Geoffroy entend bien démontrer. L’avocat du barreau de Montpellier (Hérault) est reparti en croisade contre l’opérateur de télécommunications au carré rouge, après une première salve – réussie – en 2007 (lire ci-dessous). Une fois de plus, le dossier est colossal. Quatre cents plaignants, « mais il en arrive encore régulièrement ». Et vingt conseils des prud'hommes concernés à travers la France.
Me Geoffroy veut mettre en évidence que le plan de départs volontaires (PDV) qui a concerné cinq mille employés chez SFR devenu propriété de l’homme d’affaires Patrick Drahi, ne l’était pas. Que c’était un « plan social déguisé » , donc « une gigantesque fraude à l’emploi », assortie, du coup, d’un « vice de consentement ». Les salariés « volontaires », auraient signé, selon lui, sur la base de « motifs erronés » et avec «une pression énorme ».
Et les hostilités ont commencé, hier, à Nice, devant la section encadrement du conseil des prud'hommes. Début d’un marathon judiciaire qui ne devrait se terminer que dans quatre ans, au mieux. Une fois que tous les dossiers seront plaidés, l’appel et la cassation purgés.
« À ans, c’est compliqué de rebondir »
Pierre est assis sur une chaise en
(1) métal devant les juges prud’homaux niçois. Il agite frénétiquement sa jambe. Nerveux. Il avait dix-huit ans de SFR derrière lui lorsqu’il a signé le plan de départ. Il pensait « ne pas avoir le choix. C’était ça ou rien. ». Pierre fait partie de la charrette des cinq mille « volontaires ». L’un des quatre cent à avoir décidé de ne pas en rester là.
Le sexagénaire a quitté l’entreprise en août 2018. « À 59 ans, c’est tellement compliqué de rebondir, plus personne ne vous embauche et la remise en question est difficile », souffle-t-il. Il a reçu un chèque : « Quelque dix-huit mois d’indemnités et au revoir. » Pierre ne sait pas trop ce qu’il attend de cette procédure judiciaire. « Ce n’est pas vraiment pour l’argent, c’est plus un symbole », finit-il par dire, encore marqué psychologiquement. Désabusé, il raconte : «Ilnefautpas croire, c’est une entreprise que je respecte, mais à partir du moment où Drahi est arrivé, ça a été rude. La politique, c’est : moins je paye mes salariés, mieux je me porte. Une ambiance sans foi, ni loi. Tout ce qui comptait, c’était le résultat. Avant, cette entreprise avait un aspect social, aujourd’hui ce n’est que du rendement, peu importent les conséquences. »
À la barre des prud’hommes, Romain Geoffroy s’est employé à justifier la « fraude gigantesque à l’emploi », « un délit », affirme-il. «SFR a légitimé son PDV pour sauvegarder sa compétitivité, mais c’est faux, selon l’avocat. Dans le même temps, SFR proposait des milliards pour racheter Bouygues et s’offrait Sotheby’s pour plus de 3 milliards d’euros ! » Pour lui, « il n’y avait en réalité aucune difficulté financière au sein du groupe, mais juste une volonté d’augmenter les ratios dans des proportions énormes, d’augmenter la rentabilité. Et de débloquer du cash-flow ». Des milliards d’euros…
« Cette affaire est aussi une affaire de valeurs »
Me Geoffroy grimace face aux juges : « Récupérer trois points de parts de marché est-ce que cela justifie de sacrifier cinq mille personnes ? ». Et enchaîne : « Comment peut-on imaginer que cinq mille personnes ont toutes eu la volonté de quitter leur emploi ? »
Au-delà du « délit », dont il ne démord pas malgré les dénégations de l’avocat de SFR (lire ci-dessous), Romain Geoffroy a dévié sur un « débat d’idées », « de société » :
« Cette affaire est aussi une affaire de valeurs. »
SFR, une machine à déshumaniser, qui a sacrifié des salariés ? Il opine : « Dans cette boîte, l’humain est balayé. L’humain est seulement un outil de travail. »
Le « New deal », le gigantesque plan de départs volontaires de SFR a été lancé en 2016 et a concerné plus d’un tiers des effectifs. Les conditions étaient très favorables. Le PDV avait été entériné par les deux syndicats majoritaires de l’entreprise, la CFDT et l’Unsa. (1) Le prénom a été changé à sa demande pour protéger son anonymat.