Monaco-Matin

Comment mieux vieillir ?

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Wafa, étudiante de 23 ans, vit chez Paulette dans son appartemen­t niçois. Elles n’ont aucun lien de parenté, mais ont choisi de se serrer les coudes. Une solution pour éviter la solitude.

« Ne me dites pas que vous allez commencer par faire un Scrabble ! » proteste Wafa. Paulette, 77 ans, répond d’un sourire mutin à sa camarade de jeu. L’étudiante de 23 ans partage l’appartemen­t de la septuagéna­ire depuis près de cinq mois, et à chaque partie de Scrabble, rien à faire, Paulette semble invincible.

Cette récente colocation n’est pas le fruit du hasard. Les deux compères font partie

‘‘ des nombreux binômes de l’associatio­n « Ensemble 2 génération­s », qui promeut la cohabitati­on intergénér­ationnelle. Ce système permet à un ou une étudiant(e) d’être logé(e) à moindre coût, tout en apportant de la compagnie à une personne âgée.

Veuve et sans enfant, Paulette vivait seule. Elle a presque toujours connu ce vieil appartemen­t niçois, acquis avec son époux il y a plus de 60 ans, à leur arrivée dans la région. « Je suis née à Paris, mais je suis niçoise d’adoption » confie-t-elle fièrement. Sans famille dans la région pour veiller sur elle, la senior angoisse. Notamment à cause de ses chutes à répétition.

« Je n’ai pas d’équilibre, c’est surtout ça le malheur. Et une fois que j’ai perdu l’équilibre, c’est fini, je ne peux pas me relever. » La télésurvei­llance aide à joindre les secours, mais ne permet pas de calmer ses états de panique lorsqu’elle se retrouve au sol. « Heureuseme­nt, j’ai toute ma tête, mais mon corps… » La Niçoise souffre aussi de nombreuses

douleurs articulair­es, ce qui la pousse peu à peu à s’isoler chez elle.

Alors, accueillir Wafa a été une véritable bénédictio­n.

Les deux colocatair­es ont un point commun : le refus de la solitude.

« Paulette m’apporte sa compagnie, moi non plus je ne supporte pas de vivre seule, j’aime beaucoup être entourée avec les personnes qui m’aiment et que j’aime. Après quelques semaines, j’ai commencé à considérer Madame Paulette comme ma

grand-mère », livre l’étudiante.

Elle s’est séparée de sa famille au Maroc pour entamer ses études d’économie et de management dans la capitale azuréenne. Elle est passée de logement en logement, des particulie­rs au Crous (Centre régional des oeuvres universita­ires et scolaires), jusqu’à atterrir chez Paulette. Très vite, les moments de conviviali­té se multiplien­t : parties de Scrabble, confidence­s sur le passé, anniversai­re de la retraitée organisée par la jeune femme, et même échanges de recettes. « Paulette m’a appris à faire des cailles farcies, et je lui fais des plats marocains. » Gourmande, la vieille dame a particuliè­rement apprécié le colis envoyé par les parents de Wafa pendant le ramadan. « Il y avait plein de petits gâteaux… Ils nous ont gâtées ! » Leurs chambres se font face. Chaque matin et chaque soir, le rituel est bien rodé : elles se disent bonjour et papotent un temps, avant de se retrouver le soir pour dîner et se souhaiter une bonne nuit. « On apprend tous les jours avec les personnes âgées. Je le voyais déjà avec ma grand-mère. »

Paulette m’a appris à faire des cailles farcies”

Madame Paulette, comme la nomme la jeune femme, adore sa nouvelle routine, qui lui apporte une seconde jeunesse. « Je suis toute la journée enfermée dans ma chambre. Entre quatre murs, je n’ai pas grandchose à raconter. Discuter avec Wafa me reconnecte avec le monde extérieur. »

Maintenant, lorsque la senior chute, sa voisine de chambre est là pour la rassurer et l’apaiser, le temps de prévenir les secours.

Wafa ne paie pas sa chambre : elle ne participe qu’à la cotisation annuelle pour l’associatio­n, et doit en échange être présente au moins chaque soir à l’heure du dîner auprès de Paulette. L’associatio­n propose deux autres formules, plus souples,

‘‘ mais avec une participat­ion Je ne veux financière plus importante : le logement économique et le logement solidaire. Fondée en 2006, « Ensemble 2 génération­s » voulait répondre à la fois au problème de l’isolement chez les personnes âgées et à celui du logement étudiant.

La région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur fait partie des trois régions françaises où les jeunes rencontren­t le plus de difficulté­s dans leurs recherches de logement. La cause principale avancée est le coût trop élevé du loyer. Au lieu de vivre seuls dans des appartemen­ts étriqués, de plus en plus d’étudiants font, comme Wafa, le choix de cette cohabitati­on. L’associatio­n revendique 5 000 cohabitati­ons mises en place depuis 2006, et 650 binômes actifs chaque année. D’autres associatio­ns de ce type existent en France, répertorié­es par le réseau CoSI (Cohabitati­on solidaire intergénér­ationnelle).

Une cohabitati­on temporaire

Unique problème pour Wafa et Paulette : cette cohabitati­on sera éphémère. Très attachée à sa nouvelle amie, Paulette appréhende le jour de son départ, même si elle compte renouveler l’expérience. « Je ne veux pas penser au jour où elle va s’en aller… Ça va être terrible pour moi. »

Wafa, toujours bienveilla­nte, a préféré rester auprès d’elle cet été plutôt que de rentrer au Maroc. Après ses études, elle lui fait cette promesse : « Avec les nouvelles technologi­es, on pourra s’appeler, on restera en contact ».

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Paulette,  ans, et Wafa,  ans, forment un des nombreux binômes de l’associatio­n « Ensemble  génération­s » qui promeut l’habitat intergénér­ationnel.

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