Comment mieux prendre soin de nos aînés ?
D’ici à 2030, les 75 ans et plus passeront de 6 à 8,4 millions en France. Maltraitance, solitude, dépendance… Des spécialistes brossent un état des lieux préoccupant et dénoncent la « casse ». Quelle place la société réserve-t-elle aux personnes âgées ? E
C’est un sujet tabou qui, pourtant, concerne tout le monde. D’abord, parce que nous sommes tous destinés à vieillir. Ensuite, parce qu’on a tous un grandparent, un parent… qui ne peut plus vivre seul. Sachant qu’un enfant sur deux qui naît aujourd’hui a de bonnes chances de devenir centenaire, l’augmentation de l’espérance de vie pose un défi démographique, social et médical majeur.
Or la région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur est relativement plus âgée que la moyenne nationale. Notamment dans les Alpes-Maritimes et le Var, où l’on compte 31 % de personnes âgées de plus de 60 ans, contre 24 % au niveau national. Un quart de ces plus de 60 ans vivent seuls. La solitude et l’isolement dont souffrent les personnes dépendantes sont d’autant plus préoccupants.
« La vieillesse est un sujet dont les gens ne veulent pas entendre parler », déplore Françoise Kaidomar, chef du pôle gériatrie à l’hôpital de Saint-Raphaël. L’urgence est pourtant là. Et le malaise déjà bien présent en France, tout particulièrement dans le Var et les Alpes-Maritimes, où le troisième âge est encore plus présent qu’ailleurs...
« C’est un vrai choix de société qu’il va falloir prendre, prévient le Dr Kaidomar : Qu’est-ce qu’on fait de nos vieux ? »
Un constat inquiétant
« Dans la prise en charge de la dépendance, nous ne sommes pas bons. On a une société qui produit une “casse” énorme : 40 % de la dépendance actuelle est évitable. » Olivier Guérin, professeur de gériatrie, chef du pôle « réhabilitation autonomie vieillissement » au CHU de Nice, dresse un état des lieux sans concession de la situation en France. « L’Ehpad est un mauvais modèle pour une partie de nos aînés dépendants : ceux qui présentent une dépendance cognitive, principalement. » Et il prévient d’emblée : « On va droit dans le mur. »
Françoise Kaidomar ne mâche pas ses mots, elle non plus. Elle pointe du doigt la « ghettoïsation » qui touche toutes ces personnes en situation de handicap ou en perte d’autonomie. « Le problème, expose le médecin varois, c’est qu’on a sous-estimé les conséquences du vieillissement de la population sur l’organisation de la société. » Comme l’explique Olivier Guérin, qui est par ailleurs président de la Société française de gériatrie et de gérontologie : « Rien, ou très peu, n’a été anticipé depuis 30 ans. La génération des baby-boomers arrive en masse après 80 ans et donc dans le risque de dépendance, et le mur est là, tout de suite, en 2020-2030. Aujourd’hui on consacre 1,2 % du PIB à la dépendance, soit environ 23 milliards d’euros ; en 2030, ce sera entre 2,1 % et 2,7 %, soit le double. »
Mauvaise élève, la France occupe la queue du peloton de l’UE : « On est 24e sur 27 en temps passé en grande dépendance par les personnes âgées. Les champions sont les pays scandinaves, ils ont une vision de la société inclusive très forte. »
Alors comment agir ? Améliorer la prise en charge des aînés ?
Cap sur la formation des médecins et psychologues
Pour Olivier Guérin, ça passe par la formation, pour tous les métiers du grand âge, du monde de la santé mais pas seulement.
« On a besoin de psychologues formés à la géronto-psychologie. Les généralistes sont mal formés, on n’a pas de vision holistique de la personne. On traite le patient par petits bouts. » Avec les risques que cela comporte lorsque l’on est soigné pour plusieurs maladies chroniques : « Chaque année, on recense dix mille morts à cause des interactions médicamenteuses. »
Il met en avant la nécessité de « former les généralistes à la vision gériatrique ». Et puis, insiste-t-il « le vieillissement, ce n’est pas que la gériatrie. Aujourd’hui on opère des patients âgés. Travailler mieux, c’est “renutrir” avant d’opérer, “reverticaliser”, c’est-àdire remettre plus vite en fauteuil, sinon ils se déconditionnent. Quand on est âgé, il faut éviter l’hôpital à tout prix. C’est un gros pourvoyeur de perte d’autonomie. » Éviter que les personnes âgées n’atterrissent aux urgences, c’est encore une question de prévention.
Il suggère aussi la mise en place de forfaits : « Il faut faire sauter un des verrous qui est la tarification à l’acte. Et préférer un système où on assigne un objectif au médecin et à l’équipe de soin. C’est l’idée des maisons de santé, où l’on a aussi des kinés, des dentistes, des pharmaciens… Cette chaîne doit être rémunérée pour traiter le patient. »
La mise en place du dossier médical va permettre de faire évoluer les choses. «La digitalisation est un puissant levier pour réorganiser dans le bon sens. »
Mais les résistances sont fortes.
« Je crois dans le rôle du pharmacien, que les patients voient sept fois plus souvent que leur médecin. »
Vivre en bonne santé jusqu’à cent ans, ça se prépare
Bien vieillir, c’est aussi l’affaire de chacun. « Il faut former la population à son “capital longévité”, suggère Olivier Guérin. Car la moitié des enfants aujourd’hui âgés de 5 ans dépasseront 100 ans. »
Comme le rappelle avec un peu de recul Françoise Kaidomar : « Vieillir est une chance que n’avaient pas les gens il y a 150 ans. Aujourd’hui, il faut savoir donner de la vie aux années, philosophe-t-elle. Il doit y avoir un changement de paradigme au niveau de la façon dont on appréhende la vieillesse. Cela fait trop longtemps qu’on occulte le problème. Les gens ne veulent pas en entendre parler. Alors qu’on a les clés pour éviter de tomber dans la dépendance… »
Cela passe donc par « davantage de prévention » auprès des plus jeunes sur « les bénéfices d’avoir un environnement sain, de bien manger… Il faut leur expliquer qu’ils auront la chance de vivre jusqu’à cent ans, insistet-elle. Et que c’est à eux de faire en sorte qu’ils soient en bonne santé le plus longtemps possible. »
Pour arriver le plus tard possible en maison de retraite, il faut anticiper sa perte d’autonomie. Veiller à ce que son logement soit évolutif. Mais aussi prendre les bonnes décisions. « À 65 ans, si on habite Lille et qu’on choisit de s’installer à Nice, tout va bien tant qu’on est alerte, mais quand la perte d’autonomie survient, on n’a pas le réseau social, familial… Et à 80 ans, c’est l’isolement » , résume Olivier Guérin. « Gérer sa santé et son autonomie, ça nécessite un travail d’acculturation. »
Or, comme l’observe Françoise Kaidomar, « beaucoup de patients d’Ehpad ne sont pas natifs de la région, et se sont éloignés de leur tissu familial et amical », afin de terminer leurs jours au soleil. Le problème est le même pour ceux qui ne sont pas hospitalisés. « Ces gens-là n’ont pas de “personne ressource” aux alentours. Ils ont de belles villas à Saint-Tropez ou aux Issambres avec vue mer, mais au final, ils se retrouvent seuls. »
Se sentir utile
Tout ne se joue pas que sur un terrain médical. « Le premier déterminant du bien vieillir, c’est l’utilité sociale », dit Olivier Guérin. Et il n’hésite pas à plaider pour un allongement de la vie active, rémunérée ou non. Au risque de faire grincer des dents… « Attention, ça dépend des métiers. Mais pour certains, ça peut être intéressant de poursuivre une carrière, ou d’en engager une nouvelle ! » Quant au départ à la retraite, il estime nécessaire de s’y préparer en amont. « C’est très peu fait pour l’instant, or on a 23 ans d’espérance de vie une fois à la retraite. »
Permettre aux personnes âgées de se sentir utiles au sein de la société, et non pas un « fardeau », c’est le cap d’une politique du « bien vieillir » qui demande de repenser le pacte social.
Quelles solutions pour « mieux vieillir » ?
Comment favoriser l’inclusion des personnes âgées dans la société ? Pour cela, il faut déjà prévoir des aménagements urbains propices, qui leur permettront de continuer à sortir de chez elles, à être autonomes. « Transports, espaces verts… tout ce qui est fait pour elles, servira à tous : femme enceinte, mère avec une poussette, personne accidentée… C’est ça, la société inclusive », pointe Olivier Guérin. Françoise Kaidomar rappelle de son côté que « 80 % des personnes âgées interrogées souhaitent rester à domicile et y finir leurs jours ».
Le département du Var a justement été choisi comme territoire « pilote ». Pour favoriser le maintien à domicile et éviter l’hospitalisation, un dispositif innovant est expérimenté. Habitats partagés, hébergement d’étudiants… Ces initiatives sont autant de pistes pour retisser des solidarités. Permettre aux plus fragiles de vivre chez eux, le plus longtemps possible. De ne pas souffrir d’isolement.
De rendre la vieillesse digne d’être vécue.