Monaco-Matin

Lorsqu’on peine à se sentir une maman épanouie

La dépression du post-partum concernera­it entre 10 et 20 % des mères. Lorsqu’elle s’installe, la maman et le bébé sont en souffrance, d’où l’urgence de diagnostiq­uer et soigner

- AXELLE TRUQUET atruquet@nicematin.fr

Il est censé être le plus beau jour de la vie d’une mère : l’accoucheme­nt, le moment où elle rencontre enfin son nouveau-né, resté niché au creux de son ventre pendant de longs mois. Pourtant, il arrive qu’il marque un changement brutal et que survienne une dépression du post-partum. Parfois, elle s’insinue dès la grossesse. Pourtant, combien il est difficile pour une femme de confier qu’elle ne se sent pas si épanouie que ça avec son bébé, de dire les sentiments paradoxaux qu’elle éprouve… Indicibles pour elle, difficiles à percevoir pour l’entourage. Le Dr Karine Sorci-Cuttaia, pédopsychi­atre au sein du pôle femme-mère-enfant piloté par le Pr Delotte au CHU de Nice, connaît bien cette thématique. Et si son poste est rattaché au service de gynécologi­e obstétriqu­e de l’hôpital L’Archet 2, cela montre l’intricatio­n indispensa­ble de la dimension psychique et médicale de la grossesse. « Lors de l’accoucheme­nt, une femme vit un tsunami physique et émotionnel. Le coup de blues du 3e jour – dit aussi “baby blues” – est tout à fait normal. C’est un mouvement psychique adaptatif. Une mère qui accueille son bébé doit pouvoir s’identifier à lui pour comprendre ses besoins, sa sensibilit­é est exacerbée. N’oublions pas qu’elle vient de mettre au monde un bébé, l’effort a été intense, elle est épuisée. Et l’attention qui lui était avant portée se décentre sur l’enfant. Autant de facteurs qui expliquent l’afflux émotionnel et ce temps de réajusteme­nt. Ce phénomène est fréquent, il se produit chez 80 % des mamans, mais ne dure quelques heures à quelques jours », résume le Dr Sorci-Cuttaia. Mais il arrive qu’un profond mal-être s’installe, parfois plusieurs mois après l’arrivée du nourrisson. Là, on peut parler de

dépression post-partum, bien différente d’une faiblesse ou angoisse passagère. Ses répercussi­ons peuvent être considérab­les pour la mère comme pour l’enfant, et impacter l’ensemble de la famille. « Il est impératif de la prendre en charge, car elle ne disparaîtr­a pas du jour au lendemain toute seule. »

Sentiment d’incapacité et d’auto-accusation

En commençant par la repérer, ce qui peut être difficile. « Les femmes qui en souffrent, par pudeur ou honte, ne parlent pas. » Si certains signes peuvent rappeler le baby blues (fatigue, douleurs, etc.), ils sont beaucoup plus intenses et durables. «S’y ajoutent des sentiments d’incapacité et d’auto-accusation dans les soins apportés à l’enfant, décrit la pédopsychi­atre. En clair, la mère a l’impression de ne pas faire assez bien et, surtout, elle ne prend pas de plaisir à s’occuper de son bébé. Ce dernier peut quant à lui envoyer des signaux témoins de son malaise dans la relation : pleurs prolongés, régurgitat­ions, troubles du sommeil, etc. » Pourquoi ? « Parce que les interactio­ns entre une mère et son enfant débutent dès la vie intra-utérine et sont fondamenta­les : le bébé perçoit, entend, ressent ; c’est un partenaire actif. Ces échanges précoces laissent des traces qui perdurent bien au-delà de la naissance et de la petite enfance. Donc la santé psychique de la mère est primordial­e pour assurer la bonne qualité des échanges avec l’enfant et, par conséquent, son bon développem­ent. »

Repérer les signaux chez le bébé

Le comporteme­nt de l’enfant peut donc mettre la puce à l’oreille d’un soignant suffisamme­nt observateu­r. Un pédiatre, une sage-femme ou encore une puéricultr­ice qui repèrent des signes peuvent ouvrir une porte d’entrée sur une prise en charge adaptée en périnatali­té. Car il ne s’agit pas de s’intéresser uniquement à la femme, mais bien au foyer. Bien sûr, une psychothér­apie est très intéressan­te, mais beaucoup d’autres aides peuvent être envisagées : groupe de paroles avec des mamans, atelier sur l’allaitemen­t, visite d’une puéricultr­ice à domicile pour des conseils sur l’alimentati­on et pour peser le nouveau-né… De quoi redonner de l’allant et de la confiance à la maman en souffrance. « On cherche ainsi à réintrodui­re de la dynamique, pour recommence­r à penser, résume le Dr Sorci-Cuttaia. Si nécessaire, lorsque la mère est épuisée, on peut prescrire des antidépres­seurs : j’explique à mes patientes

qu’elles doivent les envisager comme une enveloppe qui va venir les protéger le temps de sortir de la dépression post-partum. »

Lorsque l’affection psychique l’impose, le médecin délivre un congé pathologiq­ue du post-partum. Car les problèmes ne s’envoleront pas une fois poussée la porte du bureau. Soigner la dépression, c’est aider la femme à retrouver du plaisir dans son rôle de mère.

 ??  ?? « On estime que près de la moitié des dépression­s du post-partum ne sont pas diagnostiq­uées car considérée­s à tort comme une banale fatigue avec des troubles du caractère et des difficulté­s à assumer l’enfant », indique le Dr Karine Sorci-Cuttaia. (Photos Unsplash et DR)
« On estime que près de la moitié des dépression­s du post-partum ne sont pas diagnostiq­uées car considérée­s à tort comme une banale fatigue avec des troubles du caractère et des difficulté­s à assumer l’enfant », indique le Dr Karine Sorci-Cuttaia. (Photos Unsplash et DR)

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