Monaco-Matin

Oliviers infectés : « On a manqué d’humilité »

Les oléiculteu­rs azuréens tiennent aujourd’hui une réunion de crise sur Xylella Fastidiosa. À la Trinité, Henri Derepas nous confie ses craintes, mais appelle à la mesure et à rester confiant

- Reportage : Christophe CIRONE ccirone@nicematin.fr Photos : Dylan MEIFFRET

Henri Derepas venait de fêter ses  ans, le  septembre, quand il a appris la nouvelle par les médias. Cette fois-ci, ça y est : Xylella Fastidiosa a frappé. Deux cas de contaminat­ion par cette bactérie ont été décelés sur des oliviers en France. L’un à Antibes, l’autre à Menton. Un coup de bambou pour les oléiculteu­rs tels que lui. L’agriculteu­r de la Trinité l’admet : « La situation est grave ». Mais pas désespérée pour autant. Cet après-midi, les oléiculteu­rs azuréens ont rendez-vous à la chambre départemen­tale d’agricultur­e des AlpesMarit­imes, au MIN de Nice, autour de leur représenta­nt Jean-Philippe Frère. Réunion de crise. Au menu : comment réagir face à l’offensive de Xylella Fastidiosa, cette « tueuse d’oliviers » tant redoutée, qui a décimé un million d’oliviers italiens dans la région des Pouilles.

Quid des arbres malades ? Pour le ministre de l’agricultur­e, la question est tranchée. Tranchée comme le tronc de l’olivier mentonnais atteint par la pauca, la sous-espèce la plus virulente de Xylella. Tranchée comme deux autres oliviers un peu trop proches, ainsi que leur congénère antibois. Tous étaient des arbres d’ornement. Mais si Xylella atteignait les exploitati­ons, faudra-t-il tout arracher, là encore ? Et ratisser large par principe de précaution ? Henri Derepas ne peut s’y résoudre. Au-delà du crève-coeur, il conteste le bien-fondé et l’efficacité de l’arrachage préventif. Comme bien d’autres. Il ne veut nier la réalité, ni verser dans le catastroph­isme. Il accepte juste de nous faire visiter Champs Soleil, son exploitati­on, pour expliquer son rapport à l’olivier. Son expérience. Ses craintes. Et ses raisons d’espérer.

« C’est un peu les sept plaies d’Egypte. La différence, c’est qu’elles sont toutes arrivées en même temps, pour marquer la fin d’un cycle ! Nous, on était dans un cycle d’aléas naturels normaux. Ce n’est plus le cas aujourd’hui... » Dans la vallée du Paillon, deux kilomètres sinueux audessus d’Auchan La Trinité, Henri Derepas s’efforce de prendre de la hauteur. Sa propriété, baignée de soleil, est peuplée d’environ 1100 oliviers, qui se partagent 7 hectares. « Il y a les centenaire­s, les multicente­naires... et les plus jeunes qui ont une semaine, sourit Henri Derepas. Preuve qu’on y croit. Vous ne plantez pas des arbres si ne croyez pas dans leur avenir. C’est comme des enfants ! » Henri a débuté son activité d’oléiculteu­r-maraîcher ici en 1983, deux ans après sa femme Ginette. Ils sont six à y travailler au quotidien, dont le couple et deux salariés à l’année. Les aléas, les galères, ils en ont connu, eux et leurs chers oliviers. « Ils ont subi pas mal de calamités. Notamment au XIXe siècle, mais aussi en 1929, 1956 ou en 1985, se souvient Henri. Cette année-là, on a dû reprendre tout le verger... »

À la barre de leur exploitati­on bio, les Derepas peuvent « se baser sur une expérience profession­nelle de près de 40 ans. » À plusieurs reprises, déjà, on leur a promis « la fin à très court terme. Et nous sommes toujours là. » Pourtant, c’est vrai : aujourd’hui, « la situation est plus compliquée ».

Xylella Fastidiosa rôdait déjà sur la Côte, depuis son arrivée en France en 2015. Mais avec ce passage à l’acte sur des oliviers, « on a franchi un palier ». Henri Derepas ne nie pas sa présence. «Ninégation­niste, ni inconscien­t, ni irresponsa­ble... ni naïf ! » Le front plissé, il s’interroge sur les origines de cette nouvelle crise environnem­entale. Forcément, l’oléiculteu­r trinitaire a son avis. Pour lui, « Xylella Fastidiosa, c’est la mauvaise fille d’une mondialisa­tion effrénée. La multiplica­tion et la rapidité des échanges favorisent la propagatio­n des maladies, chez les végétaux comme chez les hommes. C’est un signe des temps. »

« C’est comme si votre sang s’épaississa­it » Las, Xylella n’est pas seule. « Elle a un complice de poids : le réchauffem­ent climatique. » N’en déplaise aux climatosce­ptiques, Henri Derepas a bien observé, lui, l’impact des « hivers doux et des pluies tropicales » récurrents. Jadis, le froid hivernal tuait les insectes vecteurs de maladie, type cercope des prés. Ce n’est plus le cas.

Résultat ? Xylella est là, et bien là. La bactérie s’attaque au courant de sève montant dans l’arbre, le xylème. Elle le bloque. « C’est comme si votre sang s’épaississa­it et n’atteignait plus votre coeur, diagnostiq­ue Henri Derepas. Résultat : l’arbre se dessèche. » Pesticides ? « Jamais ! » L’agriculteu­r touche du bois : à ce jour, nulle trace de Xylella de son côté. Cela n’exclut pas les autres maladies. Gale de l’olivier, mouche de l’olivier... Même dans cette exploitati­on multi-primée pour son huile ou sa pâte d’olive, quelques fruits affichent une santé précaire. Comme chez les humains. Rien d’alarmant.

Ici, nul drone à caméra thermique, comme ceux dont on parle pour détecter la Xylella. Les Derepas traitent leurs arbres à l’argile calcinée, ou recourent à un piège aqueux pour surprendre la progressio­n des insectes. Des pesticides ? « Jamais ! », s’exclame Henri. Son credo :

« On observe. On respecte. On entretient la biodiversi­té. Elle garantit des insectes auxiliaire­s qui travaillen­t pour vous gratos ! » L’oléiculteu­r arpente ses allées d’oliviers centenaire­s, montre leurs feuilles, tâte leurs fruits. Il le reconnaît : une partie du problème réside dans le choix des pratiques agricoles, développée­s au fil du temps. « Nous sommes aussi responsabl­es de la baisse de biodiversi­té. » Cette spécialisa­tion à outrance des exploitati­ons favorise la propagatio­n des épidémies. Tout comme l’abandon de certains arbres, qui a fait tant de mal aux Pouilles.

Le fils aîné d’Henri en sait quelque chose. Il est allé constater les dégâts dans le Sud de l’Italie. L’état des lieux l’a surpris : « Sur certaines routes, tout est ravagé d’un côté, et de l’autre, tout est sain. » Tiens tiens... Et si certains arbres étaient mieux armés contre cette « lèpre de l’olivier » ? .

« Nous sommes des passeurs de mémoire » Pour l’heure, on ignore encore beaucoup de choses de Xylella. À commencer par son remède. Henri regrette « une forme de nébulosité des organismes étatiques. Et pas que français... » Son regard se tourne vers l’Espagne, écrasant leader de la production mondiale d’huile d’olive (45 %). Avec 0,2 % du marché, la France fait figure de Petit Poucet.

Cet oléiculteu­r chevronné a une conviction : face à Xylella, le remède peut s’avérer pire que le mal. Quoi qu’en dise l’agence européenne de sécurité sanitaire. L’arrachage préventif ? Pas question, pour Henri Derepas. « Le couple principe de précaution-éradicatio­n est mortifère. Et ce n’est pas efficace. Quand vous êtes malade, on ne met pas toute votre famille et votre entourage dans un endroit confiné ! » Si un oléiculteu­r venait à être touché, Henri Derepas invite à faire corps autour de lui. Et à empêcher tout abattage autre que l’olivier malade. « Quitte à m’enchaîner à un arbre. J’aurais encore plus mal à mon pays qu’à ma ferme... »

Henri Derepas regagne la piste qui traverse son exploitati­on. Il balaie d’un regard affectueux ces champs d’oliviers, symboles de la Méditerran­ée, « images de la paix. Quand on arrache un olivier, on a l’impression d’arracher une part de nous-mêmes. » Un patrimoine historique, culturel, autant que végétal. « L’olivier, c’est l’histoire de l’humanité ! C’est une mémoire. Et nous, nous sommes des passeurs de mémoire. »

‘‘ Elle a un complice : le réchauffem­ent climatique”

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Adepte de techniques alternativ­es sur son exploitati­on bio, à la Trinité, Henri Derepas surveille la progressio­n des insectes à l’aide d’un piège artisanal.
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Observer, respecter la terre, soigner avec des méthodes alternativ­es : telles sont les méthodes de l’oléiculteu­r pour prévenir la progressio­n des maladies.

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