Damien Bagaria,
A71 ans, Damien Bagaria est un jeune maire encore, lui qui a été élu pour la première fois à Tourrettes-sur-Loup en 2014. Pourtant, il ne se représentera pas en mars prochain. Il l’avait promis, il s’y tient : « J’avais prévu dès le départ de n’effectuer qu’un mandat. » Non que cet ancien général de division, qui a bourlingué au Rwanda, en Centrafrique ou au Kosovo, soit désabusé ou usé, même s’il stigmatise sans fard certains comportements égoïstes et des contraintes à foison. Mais il estime, surtout, avoir globalement rempli sa feuille de route. Et nécessaire de laisser la place aux jeunes, à de nouvelles inspirations. Ce qui ne l’empêche pas de lancer encore des projets tous azimuts…
« Maire, ce n’est pas un métier, c’est une mission, 24 heures sur 24. Nous sommes des généralistes qui passons d’un problème de boulon de 12 au lancement de projets structurants, de la fuite d’eau à la construction d’une école ou d’une médiathèque. » Dans un emploi du temps qui laisse peu de place à la contemplation, Damien Bagaria, élu sans étiquette, s’accorde juste deux rituels personnels. Immuables. Vers 8 heures, chaque journée démarre par un café au Bar du
‘‘ Midi, sur la place du village. Comme il le faisait avant d’être maire, avec les mêmes amis. « Là, on refait le monde et on refait Tourrettes. » Puis, à midi moins dix, direction l’école pour y récupérer son petit-fils, qu’il emmène déjeuner à la maison. Entre-temps, c’est le défilé dans son bureau à la décoration très Premier Empire, de figurines napoléoniennes en tableaux rappelant la campagne d’Italie. Un bureau volontiers ouvert à tous les vents. Les élus et fonctionnaires municipaux s’y succèdent, quelques visiteurs impromptus aussi. En ce mardi matin rythmé par la pluie qui claque sur les toits, une Tourrettane lui apporte un livre de comptes de 1834, retrouvé à l’ancien moulin. Il sera numérisé puis envoyé aux archives départementales. Entre deux passages d’un agent municipal qui bataille pour régler un problème persistant de code informatique avec la Caisse d’allocations familiales, l’assistante du maire lui tend un parapheur. Damien Bagaria valide, notamment, une dérogation pour que les enfants d’une enseignante, bien que résidant à Vence, soient scolarisés à Tourrettes. Et tant pis si la commune de Vence n’est pas disposée à une compensation financière. «Lerôled’un maire est d’être un facilitateur. Il faut être intelligent et gérer les situations avec le coeur, pas avec une calculette. »
Monsieur le maire, en revanche, entend se montrer intransigeant avec ceux qui enfreignent la loi. Dans son collimateur, ce jour-là, une villa louée sur les hauteurs du village, où les fêtes tapageuses l’ont mis en rogne cet été. Il prépare un arrêté général, faute de pouvoir cibler le quartier. « Je n’ai pas envie que ça dégénère et, qu’un jour, un voisin qui n’en pourra plus sorte un fusil. »
Dans la foulée, on lui transmet la requête d’une habitante dont le mari est malade et qui s’inquiète d’un contrôle diligenté par la Direction départementale des territoires et de la mer, pour un abri de jardin qui lui semble, a priori, bien anodin.
Imaginer et faciliter Tourrettes-sur-Loup, 4 072 habitants, compte vingtsept élus. Mais le maire est l’homme-orchestre. « Sur la liste en 2014, il y avait pas mal de gens jeunes et qui travaillent, donc peu disponibles. Le boulot effectif repose en fait sur une grosse demi-douzaine d’adjoints, retraités pour la plupart. Vingt-sept conseillers municipaux, c’est finalement trop. Il est difficile de les trouver lors de l’élection, puis de motiver tout le monde ensuite. A chaque conseil municipal, je redoute de ne pas avoir le quorum. »
Le maire de Tourrettes n’est pourtant pas homme à s’angoisser pour un rien. « Ma responsabilité pénale, je n’y pense pas, dans la mesure où je fais tout pour assurer la sécurité de mes concitoyens. Je suis très scrupuleux là-dessus. De toute façon, vous aurez beau tout faire dans les règles, il se trouvera toujours quelqu’un pour vous attaquer un jour… »
Tantôt prévenant, tantôt bourru, Damien Bagaria s’agace des pesanteurs. « Dans l’armée, tout le monde a un référentiel commun. Il n’y a pas besoin de répéter trois fois la même chose. Dans une mairie, c’est plus compliqué. Il faut être davantage diplomate. Il y a des agents formidables, d’autres plus pénibles. Il est plus facile de gérer des militaires que des agents communaux, qui sont plus sensibles. Quant aux habitants, certains sont vraiment très déplaisants. Parfois, j’ai du mal. Nous avons basculé dans une société dominée par l’égoïsme, où chacun a l’impression que tout lui est dû. On rencontre des gens très bien, mais aussi de sacrés cons ! J’aurai beaucoup appris, la vie de maire est très riche mais fatigante. » Il développe : « Dans une mini-ville à la campagne, l’équilibre est délicat. Il y a ceux qui veulent de l’éclairage public pour plus de sécurité, ceux qui n’en veulent pas pour mieux voir les étoiles. Pierre veut blanc, Paul veut vert ! Le maire doit imaginer le futur de sa commune, tout en huilant les rouages de la vie quotidienne. »
L’incivisme, cette plaie !
Voici venue, déjà, l’heure de récupérer son petitfils. De visites en appels, Damien Bagaria n’a pas touché au café posé sur son bureau depuis bientôt quatre heures. Sur le court chemin vers l’école primaire, il reste en service, sur le qui-vive. Peste contre un conducteur qui roule trop vite et le conforte dans sa volonté d’installer de nouveaux radars pédagogiques. « Les chauffards, les incivilités, les dépôts d’ordures, c’est vraiment la plaie, y compris dans un village très propret comme le nôtre et malgré tous les dispositifs de collecte que nous mettons en place. Certains n’ont aucun civisme. »
On rencontre des gens très bien mais aussi de sacrés cons ! ”