« On s’est trompé de cible avec la ß-amyloïde »
Directeur de l’équipe de recherche « Biologie cellulaire et moléculaire du vieillissement cérébral normal et pathologique » de l’Institut de pharmacologie moléculaire et cellulaire (IPMC) à Sophia Antipolis, Frédéric Checler a réalisé des découvertes majeures dans le champ de la maladie d’Alzheimer. Son équipe travaille en lien avec le centre mémoire de ressources et de recherches du Pr Philippe Robert.
Quelles sont les découvertes les plus récentes concernant la maladie d’Alzheimer ?
On comprend beaucoup mieux comment la maladie progresse. Un peu comme pour le prion, mais sans les aspects de contamination, les neurones sont capables de relarguer des agents toxiques qui peuvent passer de cellule à cellule. On peut ainsi déterminer des stades de la maladie, en fonction de l’apparition dans une aire cérébrale donnée de protéines Tau phosphorylées ou d’amyloïdes (lire ci-contre).
On a en effet toujours les mêmes voies de propagation.
Ces analyses sont issues de biopsies post mortem.
De quels outils dispose-t-on pour identifier les lésions in vivo ?
Il y a l’imagerie, mais on ne sait pas vraiment ce qu’il faut regarder. Et on est toujours limité par les marqueurs.
Les plaques séniles ne sont-elles pas un bon indicateur ?
Notre équipe, et d’autres dans le monde, ont clairement montré que l’amyloïde n’est pas impliquée dans le processus pathologique précoce. Il n’est pas un déclencheur de la maladie. Plusieurs modèles animaux ont même montré qu’en absence d’amyloïde, on pouvait quand même avoir une pathologie de type Alzheimer.
La ß-amyloïde était considérée jusque-là comme l’ennemi à abattre. Que faut-il comprendre ?
En fait, c’est en amont que ça se passe ; c’est le précurseur de ce peptide qui est toxique aux stades précoces. Le peptide amyloïde participe à l’altération de certains processus de mémorisation et d’apprentissage, mais à des stades tardifs. C’est ce que nous avons montré, grâce à nos modèles animaux.
Ces résultats corroborent-ils des observations chez l’homme ?
Oui. Il existe ainsi un paradoxe majeur dans la maladie d’Alzheimer. Les résultats basés sur des approches génétiques montrent que le précurseur de l’amyloïde, l’APP, est important pour la pathologie ; toutes les mutations sur l’APP, responsables de formes précoces et agressives de la maladie, se traduisent en effet par une augmentation de la production en amyloïde. C’est pour cette raison que l’on a essayé de tout faire pour empêcher sa production ou le neutraliser. Mais tous les essais cliniques basés sur ces stratégies ont échoué. Il faut aujourd’hui réconcilier les aspects génétiques indubitables et la récurrence des échecs des essais cliniques. Il existe quelque chose lié à l’APP mais indépendant de la ß-amyloïde qui serait impliquée dans la pathologie.
Des candidats ?
Oui, plusieurs. Nous avons nous-même identifié un composé toxique que nous étudions.
En conclusion ?
Dans les essais cliniques, on s’est trompé de cible avec la ß-amyloïde. Elle n’est pas un bon candidat dès l’instant où l’on s’intéresse à des aspects précoces de la maladie. Et si on essaie de la neutraliser à des stades plus tardifs, c’est un cautère sur une jambe de bois ; il n’y a pas de répercussions sur les déficits cognitifs qui auront déjà évolué. Ce n’est plus réversible. Aussi, essaie-t-on aujourd’hui de bloquer la cascade en amont de la production de ce peptide.
Les patients et leurs familles doivent garder espoir ?
Sans conteste.