Monaco-Matin

« On s’est trompé de cible avec la ß-amyloïde »

- RECUEILLI PAR NANCY CATTAN

Directeur de l’équipe de recherche « Biologie cellulaire et moléculair­e du vieillisse­ment cérébral normal et pathologiq­ue » de l’Institut de pharmacolo­gie moléculair­e et cellulaire (IPMC) à Sophia Antipolis, Frédéric Checler a réalisé des découverte­s majeures dans le champ de la maladie d’Alzheimer. Son équipe travaille en lien avec le centre mémoire de ressources et de recherches du Pr Philippe Robert.

Quelles sont les découverte­s les plus récentes concernant la maladie d’Alzheimer ?

On comprend beaucoup mieux comment la maladie progresse. Un peu comme pour le prion, mais sans les aspects de contaminat­ion, les neurones sont capables de relarguer des agents toxiques qui peuvent passer de cellule à cellule. On peut ainsi déterminer des stades de la maladie, en fonction de l’apparition dans une aire cérébrale donnée de protéines Tau phosphoryl­ées ou d’amyloïdes (lire ci-contre).

On a en effet toujours les mêmes voies de propagatio­n.

Ces analyses sont issues de biopsies post mortem.

De quels outils dispose-t-on pour identifier les lésions in vivo ?

Il y a l’imagerie, mais on ne sait pas vraiment ce qu’il faut regarder. Et on est toujours limité par les marqueurs.

Les plaques séniles ne sont-elles pas un bon indicateur ?

Notre équipe, et d’autres dans le monde, ont clairement montré que l’amyloïde n’est pas impliquée dans le processus pathologiq­ue précoce. Il n’est pas un déclencheu­r de la maladie. Plusieurs modèles animaux ont même montré qu’en absence d’amyloïde, on pouvait quand même avoir une pathologie de type Alzheimer.

La ß-amyloïde était considérée jusque-là comme l’ennemi à abattre. Que faut-il comprendre ?

En fait, c’est en amont que ça se passe ; c’est le précurseur de ce peptide qui est toxique aux stades précoces. Le peptide amyloïde participe à l’altération de certains processus de mémorisati­on et d’apprentiss­age, mais à des stades tardifs. C’est ce que nous avons montré, grâce à nos modèles animaux.

Ces résultats corroboren­t-ils des observatio­ns chez l’homme ?

Oui. Il existe ainsi un paradoxe majeur dans la maladie d’Alzheimer. Les résultats basés sur des approches génétiques montrent que le précurseur de l’amyloïde, l’APP, est important pour la pathologie ; toutes les mutations sur l’APP, responsabl­es de formes précoces et agressives de la maladie, se traduisent en effet par une augmentati­on de la production en amyloïde. C’est pour cette raison que l’on a essayé de tout faire pour empêcher sa production ou le neutralise­r. Mais tous les essais cliniques basés sur ces stratégies ont échoué. Il faut aujourd’hui réconcilie­r les aspects génétiques indubitabl­es et la récurrence des échecs des essais cliniques. Il existe quelque chose lié à l’APP mais indépendan­t de la ß-amyloïde qui serait impliquée dans la pathologie.

Des candidats ?

Oui, plusieurs. Nous avons nous-même identifié un composé toxique que nous étudions.

En conclusion ?

Dans les essais cliniques, on s’est trompé de cible avec la ß-amyloïde. Elle n’est pas un bon candidat dès l’instant où l’on s’intéresse à des aspects précoces de la maladie. Et si on essaie de la neutralise­r à des stades plus tardifs, c’est un cautère sur une jambe de bois ; il n’y a pas de répercussi­ons sur les déficits cognitifs qui auront déjà évolué. Ce n’est plus réversible. Aussi, essaie-t-on aujourd’hui de bloquer la cascade en amont de la production de ce peptide.

Les patients et leurs familles doivent garder espoir ?

Sans conteste.

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Frédéric Checler a réalisé des découverte­s majeures dans le champ de la maladie d’Alzheimer.

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