Bertrand Piccard : « Il faut accomplir l’impossible »
À celui qui joua les « rois de l’exploit » à bord de Solar Impulse dénonce un monde qui a« perdu le bons sens » et murmure à l’oreille des grands pour changer la donne énergétique
Bertrand Piccard n’est pas en terre inconnue ce week-end à Saint-Tropez. Ce « savanturier » psychiatre-aviateur, connaît bien le golfe pour y séjourner régulièrement dans la famille de son épouse Michèle, à La CroixValmer. Pour cette fois, c’est en qualité de conférencier le plus couru des premières Rencontres internationales de la mobilité durable qu’il a fait le voyage. Blouson de cuir ajusté, silhouette affûtée et gestuelle rodée, durant 1 h 30, le jeune sexagénaire convoque Dumbo – l’éléphant aux grandes oreilles qui a fini par déployer ses ailes – aussi sûrement que les chefs d’État, pour appuyer sa démonstration que les nouvelles technologies sont là pour sauver l’environnement. Son credo ? « Il est temps de changer notre manière de penser pour se libérer des vieux schémas et accomplir des choses qui sont a priori impossibles ». Rencontre d’avant décollage scénique...
Au-delà de l’aspect solennel du moment, que retirez-vous de l’entretien avec les chefs d’État du G à Biarritz ?
Maintenant, ils me connaissent et si je veux les contacter pour leur montrer quelles solutions adopter pour arriver à des buts environnementaux plus ambitieux, les portes s’ouvriront. Ne serait-ce que pour leur amener les
solutions pour protéger l’environnement, tout en faisant du profit, que nous sommes en train de sélectionner à la Fondation Solar Impulse. L’enjeu est de moderniser la réglementation, l’adapter à ce que la technologie permet aujourd’hui.
Donald Trump s’est défilé à Biarritz. Avez-vous des passerelles pour le rencontrer ?
Très honnêtement, je pense qu’au moment où cela pourra se faire, il ne sera plus en place [sourire]... Son paradoxe, c’est qu’il veut relancer le développement économique mais qu’il se base pour cela sur des vieilles technologies qui ne sont plus créatrices d’emplois... Il faut donc lui montrer comment la protection de l’environnement est devenue la première source de rentabilité pour l’économie. Il est faux de penser que les deux s’opposent.
Peut-on dire que vous avez l’oreille du président Macron ?
Ce qui me séduit, c’est son désir de réformer le système. Il m’a par exemple demandé, via ma fondation, de lui amener des solutions pour réduire la pollution du trafic maritime. Je suis également engagé comme conseiller du Président pour ce qui concerne le digital à travers le One Planet Lab dont je suis membre.
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Prôner le virage électrique à tout prix, n’est-ce pas se retrouver avec des tonnes de batteries que l’on ne sait pas recycler à % ?
L’être humain par nature produit, consomme et pollue... Je parle de mon côté de croissance qualitative afin d’éviter à la fois le chaos social et environnemental. Pour la mobilité électrique, la pollution est localisée à la source d’extraction minière et au moment du recyclage. Alors que lorsqu’on utilise des énergies fossiles, le cycle est généralisé, global et permanent. Aujourd’hui, quelques degrés de plus dans l’atmosphère sont bien plus catastrophiques pour l’humanité que quelques mines de cobalt ou lithium en plus, dont l’exploitation peut être encadrée. Par ailleurs, la voiture électrique peut servir de stockage délocalisé pour tamponner le réseau en cas de pic de consommation. Cela permettrait de baisser de % les besoins de production énergétique.
Alors pourquoi porter un regard si sévère sur les constructeurs automobiles ?
Ils manquent de faculté d’innovation ! Avec Solar Impulse, j’ai compris à quel point le reste du monde est dans le passé avec des technologies archaïques, polluantes, inefficientes... On ne peut pas se contenter du moteur thermique lorsqu’on voit ce qu’il pollue et le gaspillage en énergie généré ! S’il y a des voitures électriques, c’est grâce à un milliardaire d’Internet qui ne savait pas faire de voitures et qui a lancé Tesla. Et maintenant, les constructeurs courent derrière ! C’est décevant de voir des branches entières de l’industrie s’accrocher à leurs privilèges et freiner des quatre roues pour ne pas entrer dans l’avenir...
Comment envisagez-vous la déclinaison commerciale de Solar Impulse ?
Avant des avions solaires, j’imagine, d’ici à sept ans, des avions électriques avec des batteries chargées au sol pour des courts courriers limités à une cinquantaine de passagers.
Avez-vous eu un pincement au coeur de voir Solar Impulse racheté par la start-up Skydweller ?
Non, j’en suis ravi car la seule autre perspective c’était de finir tout de suite au musée, ce qui aurait été un crève-coeur alors que c’est un avion qui a encore heures de potentiel de vol. Là, il va revoler et servir à tester des systèmes de guidage, pilotage automatique, etc. Bref, servir de base pour développer la prochaine génération d’avion sans pilote qui peut rester six mois dans la stratosphère à servir les besoins de la population dans le domaine de la collecte de données, des prévisions météo et des télécommunications. Après ces deux à trois ans d’étude, il pourra se reposer dans un musée – trois sont sur les rangs entre le Japon, Lucerne et Washington – comme Solar Impulse qui, lui, est à la Cité des Sciences.
Quel est le prochain envol pour Bertrand Piccard ?
New York pour le sommet climatique des Nations-Unies durant deux jours. Sinon évidemment, tout le monde s’attend à ce que je m’investisse dans un nouveau tour du monde aérien. On n’est jamais à l’abri d’un nouveau rêve, mais mes objectifs du moment, ce sont la Fondation, les solutions et les contacts avec les chefs d’État que je compte d’ailleurs encore travailler dès ce lundi à New York !