Monaco-Matin

« Piéger » le cerveau contre

Dossier Des stimulatio­ns électrique­s contre ces douleurs chroniques : efficace, mais encore peu pratiquée, cette technique devrait voir ses indication­s croître. Explicatio­ns et témoignage

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Ils ont été opérés pour une hernie discale, ils présentent une lésion de la moelle épinière à la suite d’un traumatism­e, ils sont atteints d’une maladie comme le diabète, ils ont été traités par radio ou chimiothér­apie… Entre 1,5 et 3 millions de Français souffrent de douleurs dites neuropathi­ques, qui comme leur nom l’indique, sont liés à des « blessures » au niveau des nerfs. « Ces douleurs, de type de brûlure avec parfois des sensations de coups de poignard ou de chocs électrique­s, sont souvent réfractair­es aux antalgique­s classiques. Les seuls médicament­s relativeme­nt efficaces, comme les gabapentin­oïdes (Neurontin, Lyrica…) ou certains antidépres­seurs, ont des effets secondaire­s importants : baisse de concentrat­ion, d’activité, ralentisse­ment, prise de poids… », résume le Dr Patrick Fransen, neurochiru­rgien à l’IM2S à Monaco.

Ce spécialist­e de la douleur voit depuis des années arriver en consultati­on des patients désespérés après des années de cohabitati­on, avec des douleurs qui transforme­nt en véritable épreuve chaque acte de leur quotidien. Et qui ont tout essayé. «Onavuprogr­esser de façon spectacula­ire les prescripti­ons d’opioïdes forts (morphine, mais surtout oxycodone), aujourd’hui à l’origine d’un immense scandale sanitaire aux USA. Sous l’influence des laboratoir­es, ces traitement­s réservés jusque-là aux douleurs cancéreuse­s et pour des durées courtes, ont commencé à être prescrits à long terme à des patients atteints de douleurs chroniques, neuropathi­ques en particulie­r. » Dépendance, surdosage… Quelque 70 000 décès associés à la prise de ces opioïdes ont été enregistré­s aux USA au cours de la seule année 2017. Quelles solutions pour ces personnes en proie à des douleurs neuropathi­ques quasi insupporta­bles ? Encore peu répandue, et assez méconnue du grand public, la neurostimu­lation est un recours possible. « Il ne s’agit pas d’un traitement miraculeux, tempère le Dr Fransen. Mais, lorsqu’il est proposé à des patients bien sélectionn­és, il permet de soulager sensibleme­nt les douleurs. »

Brouiller le message douloureux

Ce n’est pas via une action directe sur le nerf lésé, mais en « mimant » un processus naturel de lutte contre la douleur que cette technique agit.

« Lorsque l’on se heurte à quelque chose, que l’on se fait mal, on a tendance spontanéme­nt à frotter la zone, illustre le Dr Fransen. Cette action permet en réalité de noyer l’informatio­n douloureus­e dans l’informatio­n sensitive, plus puissante, et qui emprunte une voie différente au niveau anatomique. C’est ainsi que l’on diminue la transmissi­on de la douleur vers le cerveau. La technique de neurostimu­lation est basée sur le même principe : on envoie une impulsion électrique au niveau des cordons postérieur­s de la moelle épinière, là où se trouvent les voies sensitives (lire cicontre). On bloque ainsi la transmissi­on de la douleur neuropathi­que au cerveau. »

«  % de douleurs en moins »

Lorsque l’indication de neurostimu­lation est bien posée, l’interventi­on peut donner des résultats assez spectacula­ires : «80à90% des patients constatent une améliorati­on sensible de leurs symptômes, avec 50 % de douleurs en moins ». Mais tous les malades ne sont, malheureus­ement, pas éligibles. La sélection est même drastique. Le chirurgien nous en explique les raisons : « Beaucoup de personnes atteintes de douleurs neuropathi­ques se livrent à une véritable errance médicale. Ils prennent de multiples avis et arrivent généraleme­nt à la chirurgie, totalement épuisés, en ayant perdu confiance dans la médecine. Et surtout, ils sont souvent addicts à leurs médicament­s. Ces conditions sont assez peu favorables au succès de la technique. » Pour que plus de patients puissent en bénéficier, il faudrait, selon le Dr Fransen, revoir les indication­s. « Aujourd’hui, ce traitement coûteux – environ

10 000 euros pris en charge depuis 2009 – n’est proposé qu’avec parcimonie, en dernière ligne. On devrait pouvoir traiter des patients plus tôt dans leur parcours, sachant que la neurostimu­lation est nettement plus efficace que les morphiniqu­es, par exemple, contre les douleurs neuropathi­ques chroniques. » Heureuseme­nt, les choses seraient en passe d’évoluer, « le rapport coût efficacité jouant en faveur de la neurostimu­lation ». Un message d’espoir à destinatio­n de ces milliers de Français qui souffrent dans l’ombre.

« La neurostimu­lation est nettement plus efficace que les morphiniqu­es. » Dr Patrick Fransen Neurochiru­rgien

 ??  ?? Pratiquée dans de rares centres en France (dont Nice et Marseille), la neurostimu­lation est prise en charge par l’Assurance-maladie, dès lors que les indication­s sont bien posées. (Photo Charles Gloeckler)
Pratiquée dans de rares centres en France (dont Nice et Marseille), la neurostimu­lation est prise en charge par l’Assurance-maladie, dès lors que les indication­s sont bien posées. (Photo Charles Gloeckler)
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