Monaco-Matin

Le problème avec Greta Thunberg

- CLAUDE WEILL Journalist­e, écrivain et chroniqueu­r TV edito@nicematin.fr

Certains la tiennent pour une prophétess­e, d’autres pour une illuminée. On loue son courage et sa lucidité, ou on la taxe de simplisme et de manipulati­on. A New York, Greta Thunberg, du haut de ses  ans, a étrillé (et éclipsé) les dirigeants de la planète, déclenchan­t une salve d’attaques personnell­es souvent déplaisant­es. On n’a pas peut-être pas assez écouté son discours, bien plus problémati­que que le personnage. Il se résume, en gros, à trois propositio­ns choc.

/ Le précipice est proche. «Noussommes­audébut d’une extinction de masse. » Un catastroph­isme assumé, dans le fil du « I want you to panic » lancé à Davos, et qui s’exonère de toute preuve. Or si Greta Thunberg fait grand cas des travaux scientifiq­ues sur le climat, fort peu de chercheurs de renom embrayent sur ce registre apocalypti­que. Les rapports successifs du GIEC et autres organismes se gardent d’asséner des certitudes. Ils dessinent divers scénarios ouvrant sur plusieurs futurs possibles, avec une très large fourchette de températur­e (entre +, et + degrés). Les activistes de l’écologie, par tropisme militant, et les journalist­es, par déformatio­n profession­nelle, ont tendance à privilégie­r les hypothèses les plus alarmistes. Il faut s’en méfier. Ce n’est pas en affolant les population­s et en démoralisa­nt la jeunesse qu’on les préparera à relever le défi.

/ Les dirigeants de la planète ne font rien. La fameuse « inaction climatique » rituelleme­nt dénoncée dans les manifs et maintenant devant les tribunaux. Les guillemets s’imposent. Car c’est faux. Depuis  ans, il n’est pas un sujet, pas un, qui ait donné lieu à autant de sommets internatio­naux, d’accords, de lois et règlements que la question climatique. De par le monde, on a durci les normes environnem­entales, subvention­né des milliers de projets verts, investi des dizaines de milliards dans les énergies renouvelab­les. Pour peu de résultats ? C’est vrai. A-t-on fait trop peu, trop tard ? Sans doute. Mais il y a autre chose, un faisceau de raisons qui se ramène à un mot : inertie. Inertie de l’évolution du climat de la terre. Si demain (hypothèse absurde), on cessait totalement d’émettre des gaz à effet de serre, elle se réchauffer­ait pourtant d’, degré d’ici . Inertie des émissions de CO, qui sont indexées sur la démographi­e de la planète et le développem­ent économique. Elles augmentent tendanciel­lement. L’Europe, y compris la France, a réduit ses émissions en . Mais c’est une goutte d’eau. Les USA et les grands émergents, Chine et Inde, ont fait sauter les compteurs. La neutralité carbone en , objectif auquel ont souscrit la majorité des pays européens (mais pas l’UE, bloquée par le

« nie » polonais), est un Himalaya à escalader. Inertie des comporteme­nts individuel­s. Combien d’entre nous sont prêts à changer de mode de vie et faire les sacrifices nécessaire­s pour « décarboner » leur quotidien ? C’est plus facile de se défausser sur la puissance publique.

/ Le salut de la planète est incompatib­le avec la croissance. Quand elle dénonce le « conte de fées d’une croissance économique perpétuell­e », elle rejoint le camp des « décroissan­ts ». C’est une fausse piste. Un dilemme impossible. La sauvegarde du climat ne peut pas passer par la récession et ce qui en découlerai­t : paupérisat­ion collective, explosion du chômage, recul de la protection sociale. Tout simplement parce qu’aucun peuple ne l’accepterai­t. Il ne s’agit pas de renoncer à la croissance mais d’abaisser son coût énergétiqu­e. Cela passe par l’innovation, le progrès scientifiq­ue et technique, et une révision des politiques publiques, d’ailleurs déjà engagée. C’est un pari sur l’avenir, dira-t-on. Oui, un pari sur l’homme et le progrès. Tout ce en quoi Greta Thunberg a semble-t-il cessé de croire. C’est triste pour elle. Il ne faudrait pas que ce soit contagieux.

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