Le problème avec Greta Thunberg
Certains la tiennent pour une prophétesse, d’autres pour une illuminée. On loue son courage et sa lucidité, ou on la taxe de simplisme et de manipulation. A New York, Greta Thunberg, du haut de ses ans, a étrillé (et éclipsé) les dirigeants de la planète, déclenchant une salve d’attaques personnelles souvent déplaisantes. On n’a pas peut-être pas assez écouté son discours, bien plus problématique que le personnage. Il se résume, en gros, à trois propositions choc.
/ Le précipice est proche. «Noussommesaudébut d’une extinction de masse. » Un catastrophisme assumé, dans le fil du « I want you to panic » lancé à Davos, et qui s’exonère de toute preuve. Or si Greta Thunberg fait grand cas des travaux scientifiques sur le climat, fort peu de chercheurs de renom embrayent sur ce registre apocalyptique. Les rapports successifs du GIEC et autres organismes se gardent d’asséner des certitudes. Ils dessinent divers scénarios ouvrant sur plusieurs futurs possibles, avec une très large fourchette de température (entre +, et + degrés). Les activistes de l’écologie, par tropisme militant, et les journalistes, par déformation professionnelle, ont tendance à privilégier les hypothèses les plus alarmistes. Il faut s’en méfier. Ce n’est pas en affolant les populations et en démoralisant la jeunesse qu’on les préparera à relever le défi.
/ Les dirigeants de la planète ne font rien. La fameuse « inaction climatique » rituellement dénoncée dans les manifs et maintenant devant les tribunaux. Les guillemets s’imposent. Car c’est faux. Depuis ans, il n’est pas un sujet, pas un, qui ait donné lieu à autant de sommets internationaux, d’accords, de lois et règlements que la question climatique. De par le monde, on a durci les normes environnementales, subventionné des milliers de projets verts, investi des dizaines de milliards dans les énergies renouvelables. Pour peu de résultats ? C’est vrai. A-t-on fait trop peu, trop tard ? Sans doute. Mais il y a autre chose, un faisceau de raisons qui se ramène à un mot : inertie. Inertie de l’évolution du climat de la terre. Si demain (hypothèse absurde), on cessait totalement d’émettre des gaz à effet de serre, elle se réchaufferait pourtant d’, degré d’ici . Inertie des émissions de CO, qui sont indexées sur la démographie de la planète et le développement économique. Elles augmentent tendanciellement. L’Europe, y compris la France, a réduit ses émissions en . Mais c’est une goutte d’eau. Les USA et les grands émergents, Chine et Inde, ont fait sauter les compteurs. La neutralité carbone en , objectif auquel ont souscrit la majorité des pays européens (mais pas l’UE, bloquée par le
« nie » polonais), est un Himalaya à escalader. Inertie des comportements individuels. Combien d’entre nous sont prêts à changer de mode de vie et faire les sacrifices nécessaires pour « décarboner » leur quotidien ? C’est plus facile de se défausser sur la puissance publique.
/ Le salut de la planète est incompatible avec la croissance. Quand elle dénonce le « conte de fées d’une croissance économique perpétuelle », elle rejoint le camp des « décroissants ». C’est une fausse piste. Un dilemme impossible. La sauvegarde du climat ne peut pas passer par la récession et ce qui en découlerait : paupérisation collective, explosion du chômage, recul de la protection sociale. Tout simplement parce qu’aucun peuple ne l’accepterait. Il ne s’agit pas de renoncer à la croissance mais d’abaisser son coût énergétique. Cela passe par l’innovation, le progrès scientifique et technique, et une révision des politiques publiques, d’ailleurs déjà engagée. C’est un pari sur l’avenir, dira-t-on. Oui, un pari sur l’homme et le progrès. Tout ce en quoi Greta Thunberg a semble-t-il cessé de croire. C’est triste pour elle. Il ne faudrait pas que ce soit contagieux.