Monaco-Matin

« Pas d’accès libre aux comptes publics : c’est une honte ! »

Ancien conseiller national, Bernard Pasquier fait ici une analyse du budget rectificat­if 2019 qui sera voté le 17 octobre prochain à l’issue des discussion­s publiques au Conseil national

- PROPOS RECUEILLIS PAR JOELLE DEVIRAS jdeviras@monacomati­n.mc

Les dépenses et les recettes de l’État examinées à la loupe ? À la louche, plutôt, selon Bernard Pasquier. L’ex-conseiller national, également administra­teur de sociétés pour la Banque mondiale où il a fait sa carrière et chef de file du think tank Monaco 2040, regrette que les Monégasque­s n’aient pas accès aux informatio­ns leur permettant de se faire une juste idée des finances publiques. Alors que sont programmée­s les séances du projet de loi du budget rectificat­if 2019 de l’État les 8, 10 et 17 octobre prochains, il fait son analyse avec les documents disponible­s. Décryptage.

Vous évoquez depuis plusieurs années la fuite en avant des dépenses publiques. Or, les années passent et le budget affiche toujours un excédent. N’êtes-vous pas tout de même un peu pessimiste ?

L’excédent budgétaire affiché est avant tout un outil de communicat­ion. C’est particuliè­rement vrai pour le budget rectificat­if , puisque l’excédent de , M€ est obtenu en vendant au Fonds de réserve constituti­onnel (FRC) pour  M€ d’actions de la SBM. Pourquoi ne pas parler d’un déficit de , M€ ? Après tout, la partie liquide du FRC a été amputée de  M€.

Les bons chiffres de l’État pourraient, selon vous, cacher un déficit ?

Certaines années, on masque un surplus par des rachats au FRC pour ne pas montrer que nous sommes trop prospères, d’autres années on masque un déficit pour n’effrayer personne. Il ne faut pas avoir peur de la vérité. Mais ce qui nous inquiète le plus, c’est qu’en réalité les dépenses pourraient bien être beaucoup plus importante­s que celles qui sont affichées. Deux exemples : si l’État devait provisionn­er pour les litiges en cours, celui par exemple concernant l’esplanade des Pêcheurs, les dépenses devraient accroître de plusieurs centaines de millions d’euros ; et si l’État se souciait de sécuriser la retraite des fonctionna­ires, ce sont environ  M€ qu’il faudrait provisionn­er cette année, accentuant d’autant les dépenses. Mais

‘‘ toutes ces dépenses, elles finiront bien par être payées, et le gouverneme­nt, avec la complicité du Conseil national, préfère que ce soit nos enfants qui paient l’addition. Comment peut-on accepter ça?

Vous regrettez de ne pas pouvoir faire une analyse fine des comptes de l’État, l’ensemble des éléments comptables n’étant pas publics. Les conseiller­s nationaux n’ont pas l’informatio­n non plus ?

Les conseiller­s nationaux disposent du fascicule budgétaire qui inclut les chiffres de la clôture de l’année précédente, qui ne sont pas des chiffres publics avant le rapport de la Commission supérieure des comptes, qui sera publié dans deux ans. Sans les chiffres de la clôture de l’année précédente, il est en effet impossible de faire une analyse sérieuse du budget.

Vous dites vouloir que la clôture des comptes de l’État fasse l’objet d’une loi, au même titre que le budget primitif et le

budget rectificat­if. Pourquoi cela n’existe pas ? Une loi de clôture permettrai­t au public de connaître les chiffres budgétaire­s de l’année précédente, puisqu’ils seraient alors publiés au Journal de Monaco. Il faut demander au Conseil national et au gouverneme­nt pourquoi ce n’est pas le cas. Ce qui est sûr, c’est que Monaco doit être l’un des seuls pays au monde dans lequel les citoyens n’ont pas librement accès aux comptes publics. C’est une honte.

Que pensezvous, d’une manière générale, de la pertinence du Plan national pour le logement ?

L’accroissem­ent très significat­if (+ % soit  M€) des dépenses par rapport au budget primitif  est dû à la mise en oeuvre du plan national pour le logement. Monaco est un pays prospère et les nationaux ont le droit d’exiger d’être logés dans des conditions convenable­s. Vu les prix de l’immobilier à Monaco, cela n’est pas possible sans un programme de subvention­s massif. Ceci étant dit, la constructi­on à tout-va de logements domaniaux sur le territoire monégasque n’est pas une solution viable sur le long terme, ni économique­ment, ni en termes de qualité de vie et d’environnem­ent. Il faut réfléchir autrement, et le plus tôt on le fera, le mieux ce sera. N’oublions pas que le Plan national pour le logement, c’est , milliards d’euros sur  ans. Est-ce vraiment raisonnabl­e ?

Vous-même, connaissez­vous beaucoup de vos compatriot­es qui souhaitent mais ne peuvent pas se loger à Monaco de façon décente ?

J’en connais beaucoup qui aimeraient être mieux logés, c’est légitime. Ceci dit, à ma connaissan­ce, personne n’est à la rue. Et certains utilisent leur résidence secondaire comme résidence principale bis ; c’est légitime aussi. Plutôt que traiter ces personnes de tous les noms d’oiseaux, on ferait mieux d’essayer de comprendre leurs motivation­s, car en agissant de la sorte, ils se comportent en agents économique­s rationnels. Il faut chercher des solutions pour loger tous les Monégasque­s selon leurs préférence­s, autres que de construire à tout-va des appartemen­ts domaniaux qui coûtent de plus en plus cher et consomment notre bien le plus précieux : nos mètres carrés. Lorsque les Monégasque­s m’ont fait l’honneur de m’élire au Conseil national, j’utilisais parfois une phrase qui choquait certains : «Les  km², c’est avant tout dans la tête que nous les avons. » C’est le cas ici.

Comment se développe, s’organise et agit Monaco  ?

Nous sommes agréableme­nt surpris par l’écho de Monaco  auprès de la population monégasque et des personnes intéressée­s par notre pays. Nous avons plus de   abonnés à notre site, et, dans l’ensemble, des commentair­es très favorables. Nous croyons franchemen­t que nos compatriot­es, d’accord ou pas avec nos positions, apprécient notre démarche. Nous hébergeons régulièrem­ent des débats de bonne tenue sur des sujets aussi variés que l’Europe, les finances publiques ou encore le réchauffem­ent climatique qui est un des sujets de prédilecti­on de mon compère Fabien Forchino. Nous recevons régulièrem­ent des contributi­ons, souvent anonymes, pour des raisons faciles à comprendre, de compatriot­es qui souhaitent s’investir dans le débat. Au-delà de continuer de commenter les projets et propositio­ns de lois, nos efforts en  porteront avant tout sur l’environnem­ent et sur le logement.

L’accroissem­ent très significat­if des dépenses est dû à la mise en oeuvre du plan national pour le logement”

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(Photo archive Cyril Dodergny) Bernard Pasquier, leader du think tank Monaco .
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