Nice : le groupuscule néonazi ciblait les gays et les juifs
Incitation à la haine, apologie du IIIe Reich, photos avec armes et saluts nazis… Huit membres de Nice nationaliste ont comparu mardi en correctionnelle. Plongée glaçante dans l’ultra-droite
C’est injustifiable ! » L’air dépité, le président Guillaume Saint-Cricq laisse choir ses mains sur la table, dans un geste d’incompréhension. Il est heures, mardi, et le tribunal correctionnel de Nice a les oreilles qui saignent. Voilà bientôt six heures que la justice examine une affaire hors norme. Trois en une, plutôt. Avec un fil rouge, voire brun : Nice nationaliste. Ce groupuscule niçois ouvertement néonazi, aggloméré autour d’amis d’enfance, n’avait
■ « Il en va de la survie de la race blanche »
La présentation du premier volet donne le ton. Des attaques homophobes virulentes, sous forme de posts, images ou montages. Âmes sensibles, passez ce paragraphe. « Pas de pitié pour les pédés, pas de quartier pour les déviants sexuels, pas de défilé pour les enfilés », peut-on lire ici. « Nice nationaliste en première ligne face à la vermine LGBT. L’homofolie, ça suffit ! », lit-on sur un autre post. Une photo montre deux hommes masqués, brandissant une croix celtique, exécutant le salut nazi et piétinant un drapeau arc-en-ciel. L’un d’eux arbore une tête de mort à la mode Totenkopf SS.
Ces odes à la haine fleurissaient sur des comptes de Nice nationaliste créés sur YouTube, Facebook, Twitter, Telegram ou le réseau social russe VK. Seul YouTube a coopéré avec la police judiciaire. La plateforme lui a remis un e-mail éloquent : jacquesdoriot1488@ gmail.com. Jacques Doriot, figure emblématique de la collaboration. 1488, référence aux symboles pas d’existence légale. Mais il était très actif sur les réseaux sociaux et dans la rue. Du moins jusqu’aux signalements du préfet des Alpes-Maritimes, et au coup de filet de la police judiciaire de Nice.
Mardi, en cette fin d’audience, il ne reste qu’un prévenu à la barre, penaud et repentant. Mais huit hommes, de à ans, comparaissaient dans cette affaire. Au menu : provocation à la haine ou à la violence, apologie de crime contre l’humanité et du terrorisme.
nazis. Derrière cet e-mail, Yohan C., 23 ans. Derrière d’autres posts, Clément D., 27 ans. À leur côté, Jérémie M., 41 ans. Un modérateur qui n’a pas modéré grand-chose.
■ « Le but : bousculer le politiquement correct »
« Vous avez conscience que ce que vous avez publié pouvait choquer certaines personnes ? C’était peutêtre le but, du reste… », lance le président Saint-Cricq. « Le but, c’était de bousculer le politiquement correct », tente d’expliquer Clément. Il concède une « provocation ridicule », qu’il « regrette ». Yohan voulait « défier le politiquement correct », lui aussi. Le président remet les pendules à l’heure : « Ce n’est pas ça, le politiquement correct ! On est au-delà. Cela constitue une infraction pénale. » Enivrés par une surenchère verbale, les militants de Nice nationaliste ont pulvérisé les limites de la liberté d’expression. Prônant pour les homosexuels l’« aktion T4» , référence à la campagne d’extermination des personnes handicapées par les nazis. Ironisant sur le sacre des Bleus au Mondial 2018, avec le dessin d’un singe brandissant la coupe. Salissant la mémoire de Simone Veil avec cette vue d’un camp de concentration, légendée : « Simone reviens ». Cet antisémitisme décomplexé, teinté de relents identitaires, se résume dans le cliché pris devant la synagogue de la rue Deloye. «Ici c’est Nice pas Tel Aviv », proclame la photo. On y voit un t-shirt siglé «AJAB» (« All jews are bastards ») et le logo de Nice nationaliste, qui superpose l’aigle nazi et celui de Nice. « Il y a dans ce groupe une espèce de fascination pour le régime nazi, le IIIe Reich, l’une des périodes les plus sombres de notre histoire », constate le président. Par leur travail de fond, les limiers de la crim’ ont débusqué toute la petite bande de propagateurs de haine. Et ainsi évité qu’ils n’en inspirent d’autres, potentiellement tentés par un passage à l’acte.
« J’ai pris du recul »
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Mais voilà. Dans la solennité du prétoire, tous se montrent singulièrement plus modérés. « J’ai pris du recul », assure Yohan. «Jen’ai que du mépris pour le terrorisme », assure Jérémie. L’éloge du vivreensemble n’est plus très loin.
« Je ne suis pas néonazi », certifie Stéphane J., ex-militaire dont les accointances ukrainiennes intriguent les services de renseignement. « Je suis nationaliste car j’aime mon pays. Ça ne veut pas dire que je déteste les autres. » Ce quadra au crâne rasé, au bouc imposant, glisse toutefois : « Jusqu’à présent, y’a personne comme moi qui a pris un camion et qui est allé écraser des gens… »
Le procureur Yves Teyssier tente de distinguer les rôles au sein du groupuscule d’ultra-droite. Son credo, lui, semble clair. « Certains ont en commun le foot ; pour d’autres, c’est le regroupement autour de la haine. La haine du voisin. La haine de celui qui n’est pas vous. »
■ « Autant de mots, autant de gifles »
Les prévenus défilent à la barre, sous le regard accusateur du président du centre LGBT de Nice et de son avocate. « Autant de mots, autant de gifles », assène Me Caroline Reverso-Menietti. Elle salue « une victoire, déjà : depuis janvier, plus de Nice nationaliste sur les réseaux sociaux. »
Au-delà du coup de semonce judiciaire, ses militants ont-ils réellement changé ? Certains flirtaient avec le sulfureux Parti nationaliste français (émanation de l’OEuvre française) et son porteparole, Yvan Benedetti. D’autres ont voué une admiration à un groupe néonazi ukrainien, Misanthropic division. Me David Rebibou, avocat du Crif, pointe l’influence qu’ont pu exercer les identitaires de Nissa rebela : « Nous avons là des disciples de Vardon(1) et de Benedetti. » « Est-ce qu’ils vont recommencer ? Non» , certifie Me Candice Solean, l’avocate de Clément D. Yohan C., lui, « a pris conscience de l’inconséquence de son comportement. Il s’en est repenti », martèle Me Julien Darras. La défense, à l’instar de Me Matthieu Bottin, pointe surtout des problèmes de droit pour plaider la relaxe. Le procureur requiert six mois de prison pour les attaques homophobes, six mois contre Yohan et un an ferme contre Clément pour leurs diatribes antisémites, du sursis pour les autres. Le tribunal tranchera le 26 novembre.