Monaco-Matin

Nice : le groupuscul­e néonazi ciblait les gays et les juifs

Incitation à la haine, apologie du IIIe Reich, photos avec armes et saluts nazis… Huit membres de Nice nationalis­te ont comparu mardi en correction­nelle. Plongée glaçante dans l’ultra-droite

- CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

C’est injustifia­ble ! » L’air dépité, le président Guillaume Saint-Cricq laisse choir ses mains sur la table, dans un geste d’incompréhe­nsion. Il est  heures, mardi, et le tribunal correction­nel de Nice a les oreilles qui saignent. Voilà bientôt six heures que la justice examine une affaire hors norme. Trois en une, plutôt. Avec un fil rouge, voire brun : Nice nationalis­te. Ce groupuscul­e niçois ouvertemen­t néonazi, aggloméré autour d’amis d’enfance, n’avait

■ « Il en va de la survie de la race blanche »

La présentati­on du premier volet donne le ton. Des attaques homophobes virulentes, sous forme de posts, images ou montages. Âmes sensibles, passez ce paragraphe. « Pas de pitié pour les pédés, pas de quartier pour les déviants sexuels, pas de défilé pour les enfilés », peut-on lire ici. « Nice nationalis­te en première ligne face à la vermine LGBT. L’homofolie, ça suffit ! », lit-on sur un autre post. Une photo montre deux hommes masqués, brandissan­t une croix celtique, exécutant le salut nazi et piétinant un drapeau arc-en-ciel. L’un d’eux arbore une tête de mort à la mode Totenkopf SS.

Ces odes à la haine fleurissai­ent sur des comptes de Nice nationalis­te créés sur YouTube, Facebook, Twitter, Telegram ou le réseau social russe VK. Seul YouTube a coopéré avec la police judiciaire. La plateforme lui a remis un e-mail éloquent : jacquesdor­iot1488@ gmail.com. Jacques Doriot, figure emblématiq­ue de la collaborat­ion. 1488, référence aux symboles pas d’existence légale. Mais il était très actif sur les réseaux sociaux et dans la rue. Du moins jusqu’aux signalemen­ts du préfet des Alpes-Maritimes, et au coup de filet de la police judiciaire de Nice.

Mardi, en cette fin d’audience, il ne reste qu’un prévenu à la barre, penaud et repentant. Mais huit hommes, de  à  ans, comparaiss­aient dans cette affaire. Au menu : provocatio­n à la haine ou à la violence, apologie de crime contre l’humanité et du terrorisme.

nazis. Derrière cet e-mail, Yohan C., 23 ans. Derrière d’autres posts, Clément D., 27 ans. À leur côté, Jérémie M., 41 ans. Un modérateur qui n’a pas modéré grand-chose.

■ « Le but : bousculer le politiquem­ent correct »

« Vous avez conscience que ce que vous avez publié pouvait choquer certaines personnes ? C’était peutêtre le but, du reste… », lance le président Saint-Cricq. « Le but, c’était de bousculer le politiquem­ent correct », tente d’expliquer Clément. Il concède une « provocatio­n ridicule », qu’il « regrette ». Yohan voulait « défier le politiquem­ent correct », lui aussi. Le président remet les pendules à l’heure : « Ce n’est pas ça, le politiquem­ent correct ! On est au-delà. Cela constitue une infraction pénale. » Enivrés par une surenchère verbale, les militants de Nice nationalis­te ont pulvérisé les limites de la liberté d’expression. Prônant pour les homosexuel­s l’« aktion T4» , référence à la campagne d’exterminat­ion des personnes handicapée­s par les nazis. Ironisant sur le sacre des Bleus au Mondial 2018, avec le dessin d’un singe brandissan­t la coupe. Salissant la mémoire de Simone Veil avec cette vue d’un camp de concentrat­ion, légendée : « Simone reviens ». Cet antisémiti­sme décomplexé, teinté de relents identitair­es, se résume dans le cliché pris devant la synagogue de la rue Deloye. «Ici c’est Nice pas Tel Aviv », proclame la photo. On y voit un t-shirt siglé «AJAB» (« All jews are bastards ») et le logo de Nice nationalis­te, qui superpose l’aigle nazi et celui de Nice. « Il y a dans ce groupe une espèce de fascinatio­n pour le régime nazi, le IIIe Reich, l’une des périodes les plus sombres de notre histoire », constate le président. Par leur travail de fond, les limiers de la crim’ ont débusqué toute la petite bande de propagateu­rs de haine. Et ainsi évité qu’ils n’en inspirent d’autres, potentiell­ement tentés par un passage à l’acte.

« J’ai pris du recul »

Mais voilà. Dans la solennité du prétoire, tous se montrent singulière­ment plus modérés. « J’ai pris du recul », assure Yohan. «Jen’ai que du mépris pour le terrorisme », assure Jérémie. L’éloge du vivreensem­ble n’est plus très loin.

« Je ne suis pas néonazi », certifie Stéphane J., ex-militaire dont les accointanc­es ukrainienn­es intriguent les services de renseignem­ent. « Je suis nationalis­te car j’aime mon pays. Ça ne veut pas dire que je déteste les autres. » Ce quadra au crâne rasé, au bouc imposant, glisse toutefois : « Jusqu’à présent, y’a personne comme moi qui a pris un camion et qui est allé écraser des gens… »

Le procureur Yves Teyssier tente de distinguer les rôles au sein du groupuscul­e d’ultra-droite. Son credo, lui, semble clair. « Certains ont en commun le foot ; pour d’autres, c’est le regroupeme­nt autour de la haine. La haine du voisin. La haine de celui qui n’est pas vous. »

■ « Autant de mots, autant de gifles »

Les prévenus défilent à la barre, sous le regard accusateur du président du centre LGBT de Nice et de son avocate. « Autant de mots, autant de gifles », assène Me Caroline Reverso-Menietti. Elle salue « une victoire, déjà : depuis janvier, plus de Nice nationalis­te sur les réseaux sociaux. »

Au-delà du coup de semonce judiciaire, ses militants ont-ils réellement changé ? Certains flirtaient avec le sulfureux Parti nationalis­te français (émanation de l’OEuvre française) et son porteparol­e, Yvan Benedetti. D’autres ont voué une admiration à un groupe néonazi ukrainien, Misanthrop­ic division. Me David Rebibou, avocat du Crif, pointe l’influence qu’ont pu exercer les identitair­es de Nissa rebela : « Nous avons là des disciples de Vardon(1) et de Benedetti. » « Est-ce qu’ils vont recommence­r ? Non» , certifie Me Candice Solean, l’avocate de Clément D. Yohan C., lui, « a pris conscience de l’inconséque­nce de son comporteme­nt. Il s’en est repenti », martèle Me Julien Darras. La défense, à l’instar de Me Matthieu Bottin, pointe surtout des problèmes de droit pour plaider la relaxe. Le procureur requiert six mois de prison pour les attaques homophobes, six mois contre Yohan et un an ferme contre Clément pour leurs diatribes antisémite­s, du sursis pour les autres. Le tribunal tranchera le 26 novembre.

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Sur ce photomonta­ge posté sur Internet le  juillet , un homme exhibe un t-shirt AJAB (« All jews are bastards ») devant la synagogue de la rue Deloye. (DR)
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« Pas de défilé pour les enfilés », saluts nazis et drapeau LGBT piétiné : post émanant de Nice nationalis­te sur le réseau social russe VK. (Capture d’écran VK)

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