Monaco-Matin

NOTRE CHIRAC

Décédé hier à 86 ans, l’ancien chef de l’Etat est unanimemen­t salué pour sa proximité avec les Français. Son bilan apparaît néanmoins en clair-obscur

- THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr

L’ex-président de la République s’est éteint hier à l’âge de  ans L’hommage d’Emmanuel Macron, journée de deuil national lundi Retour sur quarante ans d’une vie politique hors normes Portrait intime, réactions et témoignage­s Jacques Chirac sur la Côte d’Azur et dans le Var

L’heure est aux tombereaux d’éloges. Jacques Chirac s’est éteint hier à son domicile parisien, au terme de plusieurs années en pente douce. Ce dévoreur d’espaces, qui bouffait la vie à longues enjambées martiales et armé d’un solide coup de fourchette, s’était peu à peu retranché du monde. Ses partisans célèbrent un grand Président. Ses adversaire­s, à un moment ou un autre d’un engagement de cinquante ans, trouvent aussi matière à lui tresser des louanges. Tous s’accordent à saluer l’humanité d’un grand fauve politique «qui aimait sincèremen­t les gens » et dont « la sincérité n’était pas calculée », dixit Nicolas Hulot. Un amour que les Français lui ont

‘‘ tardivemen­t rendu en le portant à l’Elysée en 1995, après l’avoir snobé à deux reprises. « Les Français n’aiment pas mon mari », a longtemps regretté son épouse Bernadette. Ce n’est pas le moindre des paradoxes d’un parcours qui a vu le « facho-Chirac » des années quatreving­t susciter soudain la tendresse à l’aube des années 2000. Il fut le dernier, après de Gaulle et Mitterrand, à incarner ce grand-père de la Nation qui entourait son peuple de sa bienveilla­nce. Insaisissa­ble Chirac, dont il est bien délicat d’établir l’héritage, tant il fut un caméléon de la politique. Avant même d’accéder à l’Elysée, il avait tout connu ou presque. Ministre ou secrétaire d’Etat en charge de l’Emploi, de l’Economie, de l’Agricultur­e et de l’Intérieur entre 1967 et 1974, deux fois Premier ministre, de 1974 à 1976 puis de 1986 à 1988, maire de Paris de 1977 à 1995. Il fut aussi président du RPR, l’ancêtre des Républicai­ns, de 1976 à 1994. C’est pourtant à gauche, et même tout à gauche, qu’il parut devoir entamer sa carrière. Durant son passage à Sciences Po, il fricote avec le Parti communiste et vend L’Humanité. Mais ses racines politiques sont à chercher du côté du radicalsoc­ialisme et de ce grand-père instituteu­r en Corrèze, humaniste et laïcard. Chirac s’en souviendra lorsqu’il fera voter, en 2004, la loi interdisan­t le port de signes religieux ostensible­s à l’école. Reconnu par tous comme un homme chaleureux et attentif aux autres, Jacques Chirac n’en fut pas moins un tueur politique. Jacques Chaban-Delmas puis Valéry Giscard d’Estaing l’ont appris à leurs dépens. Il s’est rallié au second en 1974, avant d’oeuvrer à sa perte en 1981, en favorisant en sous-main l’élection de François Mitterrand. Lui-même fut trahi par celui qu’il avait poussé vers Matignon en 1993, sans le percevoir comme un danger

‘‘ : Edouard Balladur. Il fallut alors un petit miracle pour que Jacques Chirac finisse par atteindre son

Graal, à 62 ans. La suffisance de Balladur, une campagne inattendue sur la fracture sociale, alors qu’il décriait quelques années plus tôt «le bruit et les odeurs » dans les cités, un coup de pouce involontai­re des Guignols de l’info qui l’ont rendu si attachant, et Chirac entra à l’Elysée. Il y restera en 2002, à la faveur d’une nouvelle suffisance, celle de Lionel Jospin cette fois, qui le croyait déjà fini, et d’un second tour devenu une formalité (82,21 %) face à Jean-Marie Le Pen. Paternalis­te, soucieux de préserver la cohésion nationale, Chirac laisse malgré tout un maigre bilan intérieur. Il fut sans doute le premier des présidents impuissant­s qui se succèdent depuis : prompts à dénoncer, mais peu en mesure de peser sur le cours des choses. Philippe Séguin le peignait d’ailleurs en « Don Juan de la politique, plus préoccupé par la conquête du pouvoir que par son exercice ». Ce fut d’autant plus vrai que la dissolutio­n de 1997 a privé Chirac de cinq années de pouvoir effectif sur les douze passées à l’Elysée. A son actif, une première réforme des retraites, la suppressio­n du service national, les progrès de la sécurité routière et de la lutte contre le cancer, l’instaurati­on du quinquenna­t… Jacques Chirac, on l’a oublié, a quitté le pouvoir très impopulair­e. Mais campent dans les mémoires ses résolution­s internatio­nales ou symbolique­s : le refus d’engager la France dans la guerre en Irak, en tenant tête à George W. Bush en 2003. Et deux discours majeurs qui résonnent encore : en 1995, la reconnaiss­ance de la responsabi­lité de la France dans la déportatio­n des juifs. En 2002, son élan précurseur au Sommet de la Terre, « notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Sa condamnati­on en 2011 à deux ans de prison avec sursis dans l’affaire des emplois fictifs de la ville de Paris n’a pas chiffonné l’affection tardive des Français pour le vieil homme. Il épousait leurs colères et leur ressemblai­t tant, sans avoir besoin de faire semblant, lui qui endura sa vie durant le drame de sa fille aînée Laurence, anorexique, décédée en 2016.

Sa sincérité n’était pas calculée”

Notre maison brûle et nous regardons ailleurs”

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Franz-Olivier Giesbert dans La Tragédie du Président () (Photo EPA) « Jacques Chirac avait tout pour lui. La compétence. L’esprit de décision. Un vrai charisme aussi. Si son chemin a souvent croisé celui des Français, c’est parce qu’il ne se la joue pas et aime les gens, surtout quand ils sont de peu ou de rien. »
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