Monaco-Matin

«Je vais faire un film sur l’état de la France »

Fabrice Luchini, qui vient de se produire à Anthéa à Antibes, va se lancer dans un projet mi-fiction - mi-reportage. Avec douze cameramen qui vont sillonner la France pendant 11 mois

- PROPOS RECUEILLIS PAR ROBERT YVON ryvon@nicematin.fr

L’oseille, le flouze, le blé et le verbe. Avec son seul en scène Des écrivains parlent d’argent, Fabrice Luchini s’est offert une escapade antiboise, jeudi et vendredi, à la demande de Daniel Benoin, directeur du théâtre Anthéa. Il a invité le public à savourer les textes des auteurs qui ont pris pour muse la monnaie sonnante et trébuchant­e.

Pourquoi cette thématique ?

Tout est parti de l’idée d’un grand politologu­e, Dominique Reynié. Après mon précédent seul en scène Poésie ? je me suis demandé si je ne pouvais pas enchaîner avec un spectacle sur les colonies. Mais ça n’est pas passé. Dominique m’a alors soufflé l’idée de faire un spectacle sur les écrivains qui ont parlé d’argent de Guitry à Céline, de Céline à La Fontaine. Il m’a envoyé un énorme bloc de textes trop denses et trop riches. Je les ai laissés de côté pendant quelque temps. Puis il y a trois ans, j’ai fait des coupes, des adaptation­s. J’y ai apporté des textes personnels.

Et ensuite la scène…

J’ai commencé à jouer dans un petit théâtre, en pensant m’adresser à un public très pointu de littéraire­s, de gens qui n’aiment pas que mes blagues. C’était au Lucernaire à Paris, soixante-dix places. Et maintenant je joue depuis six mois devant une salle comble de   personnes tous les soirs. Par moments les gens rient et les gens pensent,

‘‘ des fois ils sont dépassés, heureux. Mais je ne vais pas vous vendre le spectacle. Puisque ça fait deux ans que je le joue à guichets fermés mon chéri !

Vous nommez une partie de votre public les « Robert » : qu’est-ce que cela signifie ?

Depuis  ans j’entre dans mes spectacles avec du Céline, Rimbaud, La Fontaine, Flaubert. Ça commence toujours un peu haut de gamme. Je ne fais pas du stand-up pour plaire au public. Souvent quand j’entrais sur un texte de Nietzsche, le grand philosophe allemand, je sentais des zones de perplexité chez certains hommes. Ils étaient paumés. Je les ai nommés. Tiens ça, c’est un « Robert » que les épouses abonnées à Télérama ont forcé à venir voir mon spectacle. Alors que monsieur avait un projet sympa comme regarder Hanouna, ou se gratter les « yeucou » tranquille. On m’a accusé de mépriser le prénom Robert. J’ai dû leur répondre : ‘‘Vous êtes à côté de la plaque, parce que Robert c’est moi. C’est mon vrai prénom de naissance’’.

Dans votre famille on vous appelle encore Robert ?

Non, à part une tante. On m’a changé mon prénom, pas pour faire du spectacle, mais quand j’avais  ans et demi. La première fois que je suis entré dans un salon de coiffure pour apprendre le métier, on trouvait mon prénom très ordinaire. Alors on m’a débaptisé j’avais le choix : soit Jean-Octave, soit Fabrice. Ça m’a plu, parce que j’avais l’instinct que ça plairait aux femmes. Fabrice ça fait garçon raffiné, ça ne fait pas queutard médiocre ! J’ai gardé mon nom de coiffeur quand je suis devenu acteur. Aussi intéressan­t que de faire rire avec des textes de Péguy, Zola ou encore Cau. Quelle est votre recette pour les rendre « populaires » ?

Je n’en ai pas. Je ne les rends pas drôles. Je demande à mon public de faire l’effort de les écouter. Je les lie avec de grands moments comiques. C’est un stand up avec une série de sketches sur la crise de . Et ça marche…Essayez d’avoir des places au théâtre de la Porte Saint-Martin, vous verrez qu’il n’y en a plus ! En plus j’ai demandé à jouer à  h  au lieu de  h  à Paris pour compliquer la situation. Je veux que ce soit un effort de venir me voir, pour ne pas avoir uniquement dans la salle ceux qui veulent se délasser. J’ai devant moi soit des désespérés, soit des gens vraiment déterminés. C’est ce qui me plaît.

Comment se passe la promotion

du film Alice et le maire ()? Cette sortie est un grand événement. Ce sera pour moi le plus grand triomphe critique des années qui vont venir. C’est un film très pointu et très drôle.

Vous incarnez un élu dans le film. Quel regard avez-vous sur la politique d’aujourd’hui ?

Il ne faut pas sombrer dans une forme de poujadisme très réducteur en pensant que les hommes politiques sont pourris. C’est très con, très bête et très faux. Tous les maires des petites villes font des sacrifices. J’ai toujours été étonné par leur motivation. Mon personnage va comprendre que la politique l’a rendu complèteme­nt sec, bête. C’est un film qui ressemble un peu je dois le reconnaîtr­e à Nelly et Monsieur Arnaud de Claude Sautet. C’est une histoire d’amour sans sexe.

Quels sont vos prochains projets ?

Après Antibes, je pars jouer la pièce à Paris. Je prépare un nouveau spectacle pour le mois de novembre que je jouerai parallèlem­ent à celui-là. Il va s’appeler Conversati­on autour des portraits et des autoportra­its de Jean Cau à Philippe Lançon. J’ai trois films en préparatio­n, dont un que je vais réaliser.

Vous passez de l’autre côté de la caméra, alors ?

Je vais faire un film sur les habitants de France, mi-fiction mi-reportage. Je vais avoir une équipe de douze cameramen. Je vais errer partout en parlant aux taxis, aux chauffeurs livreurs, aux putes et aux travelos. J’ai même l’intention d’interviewe­r pour ce

J’ai gardé mon prénom de coiffeur ”

‘‘ Interviewe­r le président de la République ”

film le président de la République. Je vais chercher à montrer l’état de la France qui a la plus belle langue de toute l’Europe. Ce pays qui est le plus beau peuple des plus grands artisans, ce pays qui a créé les cathédrale­s, ce pays qui est le plus grand pays du génie littéraire. Ils ont Shakespear­e et on a Molière, Racine Corneille, La Fontaine. Je vais mêler tout cela dans un reportage qui va durer onze mois. Mais pour le moment je me consacre au théâtre tous les soirs.

1. De Nicolas Pariser avec Fabrice Luchini, Anaïs Demoustier, Nora Hamzawi. Sortie en salles le 2 octobre.

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